Former les enseignants à la laïcité et aux valeurs républicaines : oui mais comment ?
Paru dans Scolaire le lundi 30 mars 2015.
"Je souhaite une mobilisation pérenne. C’est pourquoi l’enjeu de la formation est si important". Lors du séminaire interacadémique rassemblant 165 cadres de l’Education nationale à Lyon, Najat Vallaud Belkacem a rappelé que les événements tragiques du début de l’année avaient libéré la parole, et aussi révélé parfois le désarroi, voire l’impuissance face aux réflexions des élèves. Dans certains établissements, le choc a en effet fait sauter les verrous du "politiquement correct" le plus souvent adopté par les élèves et déconcerté les équipes éducatives.
Avant la ministre, Abdenadour Bidar et Isabelle Saint-Martin ont déroulé deux exposés dans le grand amphithéâtre de l’Institut d’études politiques. Le chargé de mission laïcité du ministère a surtout relié les vertus de la laïcité au "vivre ensemble". La directrice de l’IESR (Institut européen en sciences des religions) a plutôt insisté sur la place des religions comme "objets culturels" dans le cadre des enseignements. Après ces mini-conférences, les inspecteurs, formateurs, chefs d’établissements, du bassin sud-est participant à ce séminaire étaient invités à choisir un atelier de trois heures parmi quatre thèmes : éducation aux médias et aux valeurs de la république, enseignement des faits religieux, pratique du débat argumenté, transmettre les valeurs de la République.
Missionnaires
"La laïcité est moins un combat qu’un moyen" a aussi souligné Najat Vallaud Belkacem lors de son intervention, en qualifiant la mobilisation de "forme de réinvestissement dans les valeurs de la république". Et d’allouer une forme de mission aux personnes installées dans l’amphithéâtre. "Tout ne se règle pas par des décrets. C’est dans l’animation de proximité que cela se joue (…) vous êtes dépositaires pour ne laisser aucune équipe démunie".
A la sortie, deux participantes estiment que le discours et le séminaire ont des vertus dynamisantes pour porter les valeurs de la République, mais elles mettent toutes deux en avant le chemin qui reste à parcourir. "Il s’agit davantage d’information que de formation. C’est un éclairage théorique. Nous ne sortons pas avec des outils. Mais cela permet de fixer des notions. Ensuite, à chacun de s’emparer des choses…" estime la première. La seconde réfute aussi la réalité d’une "formation". "Mais les personnes choisies ont pour la plupart déjà travaillé sur la question et sont à mêmes de réinvestir le sujet" espère-t-elle. "L’outillage reste à construire dans les académies".
Un plan exceptionnel de formation continue ?
"Les 1000 personnes formées vont faire leur travail" confirme en quelque sorte Olivier Noblecourt. "Ce sont des têtes de réseau qui vont diffuser le matériau". Selon le conseiller laïcité de Najat Vallaud-Belkacem "chacun va adapter les modalités d’intervention. Dans le premier degré, les IEN vont voir les directeurs d’écoles. Dans le second degré, les IPR et les chefs d’établissement s’adresseront d’abord aux professeurs d’histoire, de sciences naturelles, de philosophie, de français. Chacun mobilisera son cercle et cela s’organisera de manière très fluide". Interrogé sur les outils pratiques, il précise que le "livret laïcité" comportera des réponses aux questions concrètes que se posent les enseignants.
Les séminaires visent effectivement un large déploiement. L’affaire est présentée comme un plan exceptionnel de formation continue. Selon la Direction générale des enseignements scolaires, 670 000 enseignants seront formés sur deux ans, dont 320 000 professeurs des écoles. De même source, les 1000 cadres invités aux premiers séminaires seront "force de proposition d'actions de formation à mettre en œuvre dans les plans académiques de formation et plus particulièrement sur site, en établissements, ou bassins d'établissements".
Mais il faut noter que le Ministère n’ajoute pas de crédits dédiés dans le plan de formation continue. Les rectorats doivent intégrer le sujet laïcité dans leur plan de formation académique, avec l’enveloppe déjà allouée. Il est prévu de décharger et remplacer les 300 000 enseignants visés d’ici fin 2015, indique le conseiller laïcité de Najat Vallaud Belkacem, qui ne précise cependant ni le temps, ni les heures allouées à cette diffusion "par cercles concentriques".
Hasard du calendrier, après le séminaire interacadémique, la ministre a effectué un passage à un colloque sur la formation des enseignants, rencontre organisée par l’Institut français de l’Education, à quelques encâblures de l’amphithéâtre de l’IEP de Lyon. Ici, la réflexion portait notamment sur les conditions de l’efficacité des formations. Selon les travaux de recherche, c’est sur la durée, par l’existence d’espaces de paroles et de réflexion sur les pratiques, avec un véritable accompagnement que la professionnalisation se construit, et non pas avec des interventions ponctuelles, sous forme de cours magistraux.
Muriel Florin