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Langues maternelles : les reconnaître pour permettre aux enfants d'entrer dans les apprentissages (Journée DGLFLF-DRAC au musée de l'histoire de l'immigration)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mardi 02 décembre 2014.

"Cette journée nous a permis d’approfondir les questions esquissées l’an dernier sur la place des langues de l’immigration", déclare à ToutEduc Xavier North, délégué général à la langue française et aux langues de France qui se fait l'écho, à la fin des débats organisés mercredi dernier, 26 novembre, au Musée de l'Histoire de l'immigration. Il relève notamment les propos d'une IA-IPR (inspectrice pédagogique) qui a dit : "Ne rêvons pas, on n’enseignera pas les langues africaines à l’école, on n’en a pas les moyens. En revanche il est tout à fait possible d’envisager, des dispositifs d’éveil aux langues." Cette journée, titrée "Migrer d’une langue à l’autre", comme celle de 2013, a montré une fois de plus l'importance pour les enfant, de voir reconnue leur langue maternelle, afin qu'ils entrent dans les apprentissages. C'est important aussi pour les parents. Comme le souligne Xavier North, "ce sont des questions qui sont tout à fait stratégiques dans la construction d’une société pour le vivre ensemble, mais aussi pour ajuster les dispositifs publics."

Mais, ajoute-t-il, nous devons réfléchir à la notion de "langue maternelle" : "un grand nombre de nos concitoyens d'origine maghrébine n'a jamais parlé ou étudié l'arabe. Il y a un très grand déficit de savoirs sur les langues parlées en France. Je suis incapable de vous dire combien il y a de locuteurs d’arabe dialectal, combien il y a de locuteurs de bambara, et personne n’est capable de répondre à cette question, ce qui est hallucinant. Je suis chargé d’animer, de coordonner la politique linguistique de l’État et je ne suis pas capable de répondre à cette question ! Il faut que nous réussissions à construire un 'baromètre' - c’est un terme métaphorique -, en tous cas que nous développions la recherche sur ces sujets, et c’est ce que nous allons faire grâce à des moyens accrus qui vont être consacrés à l’observation des pratiques linguistiques. Nous allons nous doter d’instruments d’analyse qui nous permettront au moins de savoir de quoi on parle s’agissant de… nos manières de parler."

Le modèle assimilationniste et le modèle communautariste

Or s'il est clair qu'il faut encourager l'apprentissage du français par les migrants, il faut bien voir qu' "apprendre une langue ne signifie pas en désapprendre une autre". Il faut reconnaître le "répertoire linguistique des élèves" et sortir de l'opposition entre le modèle assimilationniste, qui vise à faire disparaître la langue première, et le modèle communautariste, dans lequel la langue première reste première. La représentante du ministère de l’éducation nationale considère les langues comme un atout dans l'apprentissage du français et Françoise Leclaire (université du Maine), déplore les effets négatifs de l'abandon de la langue maternelle. Une équipe franco-allemande montre que, dès le 2ème jour, la courbe mélodique des pleurs du bébé est calquée sur celle de la langue des parents. La langue maternelle est d'ailleurs en petite section un "déclencheur de parole, y compris pour les parents", et la chercheuse évoque une maman qui déclare : "Je me suis sentie importante, c'est la première fois de ma vie que ça m'arrive."

Christiane Perregaux (université de Genève) va plus loin quand elle demande ce que l'on fait des connaissances des élèves acquises en dehors du système scolaire ? Dans le domaine langagier, elle propose de reconnaître des "connaissances partielles", par exemple en faisant circuler des livres bilingues entre la classe et la famille. Anne-Élisabeth Laksfoss Handsen, (université de Stavanger, Norvège) a d'ailleurs été impressionnée par la variété des initiatives des associations, créatives et variées", ce qu'elle aimerait importer dans son pays, où se posent aussi les questions liées à l'immigration et aux langues maternelles.

De quoi la statistique française a-t-elle peur ?

Encore faut-il disposer d'outil pour savoir ce que sont ces langues. Luc Gruson, directeur général de l’établissement public de la Porte Dorée, remarque que cette question a été bien peu traitée au plan muséographique. Les enquêtes socio-linguistiques sont rares. Sans remonter à celles de l'abbé Grégoire en 1790 et de Victor Duruy en 1864, l'enquête éducation de1992 partait sur la "langue parlée par les parents aux enfants", mais au singulier, comme s'ils ne parlaient qu'une seule langue. En février 2013, un rapport de l'INSEE  sur la politique d'intégration témoignait du souci de la prise en compte des langues africaines à l'École, mais aussi… d'une méconnaissance de ces langues ! Fernanda Leite, directrice d’une centre œcuménique à Villeurbanne a organisé une enquête en Rhône-Alpes à la demande de la Région. Elle est partie d'une centaine de langues repérées, pour retenir 16 langues de référence. Les résultats seront publiés prochainement et Jean-Barthélémi Debost, directeur des réseaux au musée de l'histoire de l'immigration, ajoute : "il faut se sentir soi-même fort d'une langue et de sa culture pour accéder au français."

Louis-Jean Calvet (université de Provence) constate qu' il y a de nombreux bilingues français-arabe en France…. alors que beaucoup d'entreprises perdent des contrats car leurs collaborateurs ne parlent pas l'arabe. Il questionne l’École : y-a-t-il une évaluation de l'introduction des langues à l'école maternelle et en primaire ? Ne faudrait-il pas apprendre les langues des camarades ? Mais les connaissent-ils eux-mêmes ? Les dénominations de leurs langues par les locuteurs eux-mêmes témoignent de leurs représentations : la première langue citée après le français est..."le patois" et pour d'autres le "sénégalais", "l'africain" ... Ni l’un, ni les autres n’existent. Que savons-nous de ces langues ? De quoi la statistique française a-t-elle peur ?

Claude Baudoin

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