De l'enfant à l'élève, comment les émotions et la cognition s'entrechoquent à l'école (ouvrage)
Paru dans Scolaire, Culture le vendredi 28 avril 2023.
“La meilleure ingénierie didactique ne pourra jamais avoir d'effet sans l'implication affective des bénéficiaires“, considère Jean-François Manil dans un ouvrage consacré au rapport entre apprentissage et émotions à l'école. Le lecteur est invité par le docteur en sciences de l'éducation à s'immerger dans deux mondes, celui de l'enfant et celui de l'élève, deux mondes qui coexistent dans les différents temps de l'apprentissage. Il s'agit ainsi de “mettre en exergue la manière dont la cognition s'élabore en s'appuyant sur une émotion positive ou négative en tant que facteur stimulant“, et tenter de comprendre les fils tendus entre les milieux familial et scolaire “qui se percutent au sein d'une même personne“.
“Coucou J-F c'est L. Euh, euh, ben voilà. En fait, euh, je voulais dire que j'étais émue en écoutant toutes les poésies que tout le monde avait fait. Elles étaient toutes belles. En les écoutant, j'étais toute émue et j'étais contente de mon travail. Franchement j'ai envie de refaire ça dix fois d'affilée, tellement elles sont belles. Je crois que je vais même le faire chez moi. Bon allez, je suis je suis très heureuse. A bientôt.“
Pour donner corps à ce propos, des “enregistrements libres sur dictaphone“ réalisés durant trois ans par les enfants de la Maison des enfants de Buzet en Belgique donnent à entendre les témoignages d'un ressenti face aux activités vécues et proposées.
Un matériau réinvesti pour illustrer le lien entre émotion et cognition établi autour de sept zones d'influence, par exemple “aimer ou pas ce que l'on apprend“, “partager pour comprendre“ ou “se souvenir du positif“. A ce titre, l'auteur indique que “les enfants cherchent bien à se confronter à certaines situations qui leur apportent du bien-être, voire du bonheur. Ils les choisissent très consciemment en fonction du souvenir qu'ils ont d'activités similaires ou ressemblantes ayant déjà provoqué les mêmes ressentis.“
Les élèves, estime encore Jean-François Manil, “considèrent les enseignants comme capables de procurer un soutien affectif et cognitif“, mais attention, ces derniers “devraient être capables d'envisager que les enfants n'ont pas seulement une fonction d'élève“. De même, les relations affectives entre enfants sont très importantes, et les relations amicales favorisent le vécu scolaire positif.
“Je m'appelle M. je suis à la Maison des enfants et maintenant je suis très très très content et je m'entends bien avec les amis et j'ai regardé la pièce des garçons. Et maintenant je vais aller rejoindre mes amies pour jouer.“
Les témoignages de M, le petit garçon que l'on découvre durant tout un chapitre, dévoilent en quoi “l'acte d'apprendre est tributaire de liens étroits avec des composantes de la personnalité de l'élève“. Mais alors que “l'enfant a une vie qui se développe au carrefour de trois mondes contraignants (influence de la cité, famille, normes scolaires)“, pour l'auteur qui enrichit son récit de l'apport des multiples études sur les émotions, il existe “vraisemblablement un lien entre le fait de parler de ses émotions et le mieux-être scolaire.“ Si en effet une part importante de l'investissement dépend de facteurs étrangers à la cognition, l'enfant qui apprend “donne sens à l'acte d'apprendre s'il peut s'y reconnaître.“
Il s'agit de comprendre en quoi les sentiments des enfants/élèves “ne sont pas externes à l'acte d'apprendre, mais sont bien intimement imbriquées à celui-ci.“ D'où l'intérêt d' “accepter que rationalisation et vécu émotionnel, en s'entrechoquant, favorisent le processus créatif et artistique au sein de la personne de l'élève“.
Apprentissage et émotions, un duo pour réussir, Jean-François Manil, éditions Chronique sociale, 96p., 12€.