Recherches et publications

Philippe Meirieu entre théorie, convictions et poésie (Dictionnaire inattendu de pédagogie)

Paru dans Scolaire le lundi 11 octobre 2021.

"Former un homme est chose de finesse, c'est chose de péril, n'y hasardez pas l'infaillibilité d'une géométrie bien conçue et n'espérez point la tranquillité suprême des démonstrations bien conduites. Il y aura lutte, il y aura de l'imprévu (...), il y aura tout le va-et-vient tumultueux (...) qui est dans l'homme comme dans la mer." Cet avertissement que donnait en 1883, aux futurs enseignants du secondaire, Henri Marion, premier titulaire d'une chaire de "science de l'éducation" à la Sorbonne, Philippe Meirieu le place en exergue de son dernier ouvrage, un "Dictionnaire inattendu de pédagogie" et il est très représentatif de son système de pensée. Pour lui, "la pédagogie est une aventure risquée" et "celles et ceux qui se réclament d'elle écrivent plus volontiers des textes composites mêlant indignations et propositions, souvenirs personnels et références philosophiques, emprunts aux discours scientifiques et parenthèses poétiques" qu'ils ne prononcent des "discours définitifs" organisés selon un "ordonnancement systématique".

Philippe Meirieu propose donc sous le nom de dictionnaire "un ensemble de textes parfaitement iconoclastes au regard des canons universitaires et de la 'littérature scientifique' sur l'éducation". Car "la pédagogie n'est pas une science", mais un "art de faire" qui "articule trois pôles", celui des finalités, celui des connaissances (par exemple sur le développement de l'enfant et ses structures cognitives) et celui des pratiques, c'est à dire des outils et des méthodes dont dispose l'enseignant. C'est aussi pourquoi, comme le dit Daniel Hameline, "il est impossible d'éduquer sans croire, sans espérer, c'est à dire sans s'indigner de l'état dans lequel se trouve aujourd'hui le bien précieux de l'humanité, son enfance".

C'est pourquoi le maître doit permettre que "l'élève entrevoi(e) que le savoir est une aventure aux multiples satisfactions possibles", qui "requiert un engagement et un effort porteurs, à terme, de plus de satisfactions qu'il n'en sacrifie dans l'instant". C'est qu'on ne doit pas oublier que les tâches scolaires "ne sont que des prétextes : un exercice d'écriture n'est pas fait pour apprendre à faire un exercice d'écriture mais pour apprendre à écrire". Se pose alors la question du désir d'apprendre, et des élèves qui "ne veulent pas apprendre", question que l'institution ne peut poser, que l'auteur qualifie d' "impensable" : "Sans cet impensé, l'Ecole s'effondrerait" car elle est fondée sur un axiome : "il est possible, et même nécessaire, d'assigner des sujets humains, en des lieux et des temps contraints (...), à mobiliser librement leur désir d'apprendre." Mais seule la pédagogie permet de "construire des lieux et des temps (...) où les élèves sont à l'abri de leurs propres pulsions, mais aussi du danger permanent d'être affublés d'étiquettes qui leur imposent de se reproduire quand il faudrait qu'ils s'inventent." D'ailleurs la société le souhaite-t-elle ? "L'échec scolaire est une solution tout à fait acceptable à la question de la sélection et de la distribution des places et des biens."

L'ouvrage pose aussi la question des méthodes et des formes pédagogiques, et revient sur quelques sujets polémiques, la pédagogie explicite, la démocratie scolaire, la notion de compétence, la pertinence des manuels, le "pédagogisme", la "pédagogie des préalables", l'universel et l'universalisme, il évoque des souvenirs qui parfois l'ont choqué, comme le jour où il entend une enseignante expliquer à une mère d'élève que les difficultés de son fils sont dues à l'absence du père, ou qui sont des moments de sa vie d'enseignant, et qui ont contribué à la constitution d'une pensée et de convictions, ou ses lectures, celle de L'Emile notamment, cet élève qui "ne doit faire que ce qu'il veut, mais (qui) ne doit vouloir que ce que vous (le maître) voulez qu'il fasse". L'ouvrage n'a pas, à proprement parler, de conclusion. Il s'achève avec, tout au contraire, la certitude de rester "quelque part dans l'inachevé", selon de Rielke. Si un tel ouvrage est justifié par un travail de théoricien, il l'est aussi, et peut-être d'abord par une approche sensible, poétique.

Dictionnaire inattendu de pédagogie, ESF Sciences humaines, 528 p., 26 €

 

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