Recherches et publications

Éducation à l'alimentation : des analyses et pistes d'amélioration dans un rapport de France Stratégie et un dossier des Cahiers pédagogiques

Paru dans Scolaire, Périscolaire le jeudi 30 septembre 2021.

Ce mois de septembre paraissent deux publications qui abordent les politiques et actions éducatives dans le domaine de l'alimentation : un rapport de France Stratégie, "Pour une alimentation saine et durable : analyse des politiques de l'alimentation en France", dédié aux politiques de l'alimentation dans leurs composantes économiques, sociales environnementales et de santé publique et le dernier numéro des Cahiers Pédagogiques de septembre-octobre 2021, "L'alimentation et l'école". Dans le premier, réalisé à la demande de Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale, si les auteurs soulignent que les outils existants, dont ceux utilisés pour l'éducation, permettraient d'accélérer la transition vers un système alimentaire plus durable, que l'Éducation nationale est un acteur central et que la restauration collective au sein des établissements constitue un puissant levier, ils sont néanmoins critiques sur la façon dont sont menées et évaluées les actions. Le second rassemble plusieurs contributions sur une quarantaine de pages, des exemples d'initiatives, y compris à l'étranger, mais aussi des analyses qui donnent des éclairages sur la manière dont pourrait mieux se développer cette éducation à l'alimentation à l'école. Une question qui "reste parfois complexe par ses enjeux économiques ou idéologiques", même si "les bonnes volontés sont là, en témoigne l'abondance des initiatives locales ou nationales", résument en introduction Alexandra Rayzal, professeure d'histoire-géographie en collège à Paris et Hélène Limat, coordonnatrice ULIS à Calais. Celles-ci soulignent que "l'alimentation est, bien au-delà de l'école, l'affaire de tous : une coéducation".

En effet, alors que "l'éducation à l'alimentation tout au long de la vie au plus près du terrain, assortie d'outils de partage et d'évaluation des pratiques" est d'ores et déjà bien identifiée parmi "les principaux instruments permettant d'accompagner les consommateurs vers une alimentation plus saine et plus durable", les auteurs du rapport de France Stratégie soulignent que la coordination des acteurs mais aussi l'évaluation des actions menées en la matière sont des points à améliorer en matière de politique éducative.

Défaut d'évaluation

Premier problème identifié, la politique de l'alimentation est une politique du ministère de l'Agriculture, à vocation interministérielle, dont les objectifs sont fixés par le Programme national pour l'alimentation (PNA), mais cette politique, en faisant référence à l'éducation à l'alimentation, peut "poser question en termes d'articulation avec le ministère de la Santé, le PNNS (programme national nutrition santé)", parce qu'il investit lui-même ce champ. Ainsi, l'Éducation nationale est concernée à la fois par le PNA et le PNNS et "se retrouve exposée à une gestion de l'interministérialité sur laquelle elle n'a guère de prise", regrettent les auteurs, "même si la coordination s'améliore, notamment au niveau local via les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté".

Autres limites identifiées par les auteurs, les actions classifiées sous l'axe "Éducation alimentaire" du PNA "concernent toutes les seuls publics accueillis par l'Éducation nationale" - alors que "les enjeux d'éducation à l'alimentation doivent aussi concerner des publics plus jeunes, ou plus âgés, que les seuls enfants d'âge scolaire" - et la majeure partie de ces actions sont difficilement évaluables, "notamment du fait du caractère très qualitatif et protéiforme des objectifs affichés, et de l'absence de données consolidées par l'Éducation nationale relatives aux élèves effectivement exposés à ces actions (données qui, pour une réelle évaluation, ne peuvent se limiter au dénombrement des initiatives et élèves concernés)". Et à cette "difficulté à avoir une vision nationale de l'impact des actions entreprises sur les territoires", s'ajoute "une mobilisation inégale selon les régions".

Dilution des actions et découragement des acteurs

Concernant les contenus de cette éducation, le rapport relève également "une tâche complexe" à laquelle est confrontée l'institution : "préserver la simplicité et la cohérence des messages, tout en couvrant le large ensemble de thèmes dévolus, relevant de registres différents (enjeux sanitaires, environnementaux, économiques ou culturels)" et "adapter les messages à la diversité des conditions locales et sociales, voire des traditions familiales, sans paraître intrusive vis-à-vis des choix des familles voire en parvenant même, dans la mesure du possible, à susciter leur attention bienveillante". Un équilibre "complexe" à trouver, et ce d'autant plus que l'institution fait face à d'autres injonctions : communiquer avec les élèves sur de nombreux autres thèmes que l'alimentation, ou encore se recentrer sur les fondamentaux.

Multiplication des injonctions qui peuvent aussi affecter la capacité des enseignants à s'emparer de ce thème. En effet, observent les auteurs, si l'institution a bien mis à disposition sur le site Eduscol, fin 2020, un vade-mecum "Éducation à l'alimentation et au goût", co-construit avec la DGAL et la DGS, la manière dont le corps enseignant pourra se saisir des outils "ne peut que rester aléatoire face à la multiplicité des injonctions dont il est destinataire". Ils rappellent d'ailleurs que l'IGAS avait déjà évoqué "la litanie des parcours censés être mis en œuvre par les équipes pédagogiques : parcours avenir, parcours citoyen, parcours d’éducation artistique et culturelle…" Pour l'inspection ces "trop nombreuses priorités nuis(ai)ent à la lisibilité des projets d'établissement, et conduis(ai)ent à la dilution des actions et au découragement des acteurs".

Enfin, les auteurs invitent l'Éducation nationale, alors que de nombreux professionnels sont déjà "mobilisables" (enseignants, personnels de la médecine scolaire, de la restauration collective, ou encore assistants de service social et psychologues), à associer les parents à ses actions, "afin que les messages franchissent au mieux l'enceinte des établissements" et à considérer la restauration collective au sein des établissements comme "un puissant levier".

Il est "urgent de s'interroger sur les dispositifs qui permettent une véritable éducation au choix dans les cantines"

Sur ce sujet, la chercheuse France Arboix-Calas (université de Montpellier, Lirdef - Laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation) estime également, dans le dossier des Cahiers pédagogiques, qu'il est "urgent de s'interroger sur les dispositifs qui permettent une véritable éducation au choix dans les cantines", alors qu'aujourd'hui, "le restaurant scolaire n'est pas perçu comme un lieu d'éducation qui viserait l'émancipation du sujet. Au contraire, le consommateur élève y est perçu comme un objet manipulable dont on souhaite programmer ou orienter le choix !".

Celle-ci observe néanmoins que des initiatives locales d'éducation à l'alimentation qui "dépassent la simple sphère diététique pour s'intéresser aux déterminants des choix commencent à émerger dans les cantines". C'est aujourd’hui l'un des axes de recherche du projet Acter (Alimentation collective dans les territoires urbains) financé par la Région Occitanie, Région qui a aussi développé un programme de lutte contre le gaspillage alimentaire en communiquant sur la quantité de déchets à l'issue du repas. Pour la chercheuse, impliquer les élèves en leur demandant de peser leur plateau avant et après le repas "est une stratégie pertinente pour leur permettre de prendre conscience de la part des déterminants environnementaux dans leurs choix alimentaires" et ces initiatives "sont à développer et à médiatiser davantage, pour que le restaurant scolaire révèle enfin tout son potentiel éducatif".

Être éduqués à prendre en considération les conséquences nutritionnelles, sanitaires, écologiques et citoyennes de ses choix plutôt qu'être contraints

Parmi les autres contributions, figure aussi une mise en comparaison de la "philosophie éducative" choisie en France, où l'éducation à l'alimentation est conçue comme une éducation transversale et "le choix est laissé plutôt libre dans la cantine scolaire et autour de l'école", avec la politique de la Corée du Sud, beaucoup plus encadrée, avec des personnes ressources identifiées et le temps d'enseignement défini, et où le choix alimentaire "revêt un caractère coercitif". Pour Hyeongyeong Kim, doctorante au Lirdef, si d'un point de vue de santé publique l'approche de la Corée pourrait sembler exemplaire "étant donné son taux d'obésité parmi les plus faibles des pays de l'OCDE (environ 7 % d’après l'enquête nationale sur la nutrition de 2018 du ministère de la Santé et de la Solidarité)", celle-ci juge néanmoins que "d'un point de vue éducatif, la finalité de l'éducation serait à questionner". Pour la chercheuse, il semble plus pertinent d'éduquer les individus à prendre en considération leur état de santé, l'environnement et autrui, toutes les conséquences nutritionnelles, sanitaires, écologiques et citoyennes de leurs choix. Au risque sinon "de tomber dans le piège de renvoyer toute la responsabilité des mauvais choix et de leurs conséquences aux individus privés de capacité d'agir".

Le rapport de France Stratégie, "Pour une alimentation saine et durable : analyse des politiques de l'alimentation en France", ici

Le n° 571 des Cahiers Pédagogiques de septembre-octobre 2021, "L'alimentation et l'école", 12 euros ici

Camille Pons

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