Maternelle : "Replacer au centre des apprentissages, une difficulté dédramatisée" (livre).
Paru dans Petite enfance, Scolaire le dimanche 16 octobre 2016.
"Imaginons un instant que l’apprentissage de la bicyclette soit une discipline scolaire. […] Certains ratés ponctuels seraient corrigés ou attribués à l’inattention. A l’occasion, ces manquements agaceraient, entraîneraient remontrances et sanctions pour défaut d’étude ou d’application. [...] Certains élèves seraient peut-être identifiés dyscycliques, et des cyclothérapeutes prendraient alors le relais des enseignants". Pour Mathias Millet et Jean-Claude Croizet auteurs de "L’école des incapables ?", "l’analogie de la bicyclette serait absurde si elle ne permettait pas de faire voir, un peu abruptement, les conceptions de l’apprentissage portées par l’école et leurs conséquences possibles sur les performances des élèves".
Ce livre qui a pour sous-titre "La maternelle, un apprentissage de la domination", est le résultat de l’enquête menée pendant plusieurs années par des chercheurs et des enseignants dans des écoles maternelles. Mathias Millet, professeur de sociologie à l’université François Rabelais à Tours et Jean - Claude Croizet, professeur de psychologie sociale à l’université de Poitiers, ont voulu "rendre compte des mécanismes qui déterminent la manière dont les élèves et les enseignants se saisissent des activités scolaires, et génèrent pour les uns des sentiments de compétence ou d’incompétence, pour les autres des jugements sur la valeur d’autrui".
Une personnalisation des échecs et des réussites
Selon ses auteurs, "en décortiquant le quotidien des classes", ce livre "révèle la magie sociale par laquelle les difficultés cognitives, pourtant nécessaires aux apprentissages, sont transformées en problèmes. Il montre comment les élèves et les enseignants développent, dès la petite section de maternelle, des interprétations qui naturalisent et personnalisent les échecs ou les réussites et, comment celles-ci viennent altérer les apprentissages des élèves et la revendication de la réussite pour tous".
"L’école des incapables ?", n’est pas, selon Mathias Millet et Jean-Claude Croizet, "un titre d’ouvrage pour alimenter la déploration en vogue sur la baisse de niveau ou l’incapacité de l’école, de ses enseignants ou de ses élèves". Ils veulent "plutôt attirer l’attention sur la façon dont l’école pense communément les apprentissages des élèves en les renvoyant à des capacités ou incapacités à apprendre".
Etayée par de nombreux témoignages d’enseignants et d’élèves, l’enquête démontre comment "dans bien des cas, les enseignants se trouvent comme dépossédés de leurs moyens d’agir tant les cadres scolaires leur imposent un mode de pensée et d’action qui rejette les causes des difficultés scolaires en dehors de l’effort d’enseignement et d’apprentissage lui-même".
Une violence symbolique
"Illusion de savoirs ou de compétences intrinsèques, renvoyés du côté de l’expérience personnelle", "tendance à situer l’origine des difficultés scolaires dans l’élève lui-même", "des élèves très tôt amenés à penser qu’un des enjeux de l’école est bien celui de la définition de leur valeur en tant qu’individu"… Pour ses auteurs, ce livre "dévoile comment les situations ordinaires de classes sont, à l’insu des enseignants, les cadres d’une violence symbolique dont l’aspect psychologique et cognitif s’avère très important". Ils en concluent que les résultats présentés dans cet ouvrage seraient "bénéfiques s’ils permettaient de replacer au centre des apprentissages une difficulté dédramatisée (détachée de l’individu-élève) à la fois nécessaire aux acquisitions et dés-essentialisée, ne mettant pas en cause la valeur intrinsèque des élèves qui échouent".
"L’école des incapables ?, La maternelle, un apprentissage de la domination", Mathias Millet et Jean-Claude Croizet, Editions La Dispute, 20€.