“Ce n'est que récemment que les musées ont regardé les (très) jeunes enfants comme un public réel“ (Ouvrage)
Paru dans Petite enfance, Scolaire, Culture le vendredi 09 décembre 2022.
“Cela a fait évoluer les enfants au fur et à mesure des séances en faisant travailler leur imagination, tout en apprenant à écouter leurs émotions et leurs ressentis“ constate Aurélie, auxilaire de puériculture suite aux parcours organisés entre des espaces d'accueil de jeunes enfants antibois et le musée Picasso.
Ces rencontres précoces avec l'art, ici grâce au célèbre tableau d' “Ulysse et les Sirènes“, mais aussi le théâtre, la musique... ont permis à des bébés “de développer un bon nombre de connaissances et de compétences : couleurs, formes, schémas corporels, motricité, etc..“ tout autant qu'elles servaient de “fil conducteur“ pour les professionnel.le.s, à l'origine d'une “dynamique“ et d'une “réflexion contante“ instaurées au sein de l'équipe qui leur a permis d'élargir leur connaissances.
Dirigé par Sylvie Rayna, l'ouvrage “Les bébés au musée“ présente au lecteur une kyrielle de modalités offertes par les professionnel.le.s de la toute petite enfance pour créer ce dialogue nécessaire entre les tout-petits et les œuvres par le biais des pratiques artistiques (installations, ateliers, spectacles..). “Face aux nombreux empêchements (de toucher, de courir, de s'exprimer haut et fort), explique d'ailleurs la psychologue de l'éducation, c'est toute la créativité des équipes de médiation avec les professionnels de la petite enfance et les artistes qui est mobilisée pour rendre ce lieu familier et aimable dès le plus jeunes âge“. Elle estime en outre que les rapprochements entre musées et ce tout jeune public apparaissent “comme un apport de plus au levier que constituent les actions artistiques et culturelles en petite enfance, pour lutter contre l'intensification des processus de reproduction sociale“.
Pourtant, indique Yannick Le Pape, chargé de mission Recherches au musée d'Orsay, il est dans les musées français “plus inhabituel de rencontrer des bébés ou de très jeunes visiteurs, pour lesquels les offres de visite restent moindres en regard de celles proposées aux écoles ou aux familles avec enfants d'âge scolaire“, ceux-ci ayant “longtemps hésité à prendre en considération d'autres visiteurs que les spécialistes de l'histoire de l'art“, tandis que d'autre part, “les actions culturelles en direction de la petite enfance ont longtemps été jugées annexes par les DRAC“.
Ainsi, “ce n'est que récemment que les musées ont regardé les (très) jeunes enfants comme un public réel, de même que la sociologie de la culture les négligea longtemps au motif qu'ils ne feraient que rejouer les pratiques des adultes“. Musée Fabre, Musée Bonnard, Milleformes.. A présent, considèrent les auteurs de l'ouvrage, le rapprochement des deux acteurs “reste certes en construction, tout en étant bien amorcé“ et l'on constate que “des cloisons tombent, des passerelles s'instituent, des territoires se maillent“.
Les bébés au Musée, “on y arrive !“ ajoutent-ils, et “les mentalités sur ce point ont tellement évolué que, aujourd'hui la plupart des musées (qui jusqu'ici clamaient haut et fort leur expretise dans le domaine éducatif par peur d'en être dépossédés) sollicitent les professionnels de la petite enfance pour mettre en place leur programmation à destination des tout-petits“. Lien social en perspective, du côté des institutions est désormais présente “la conscience du rôle fédérateur de l'art en termes de partage, de solidarité et d'inclusion“.
En outre, ces expériences “vécues de l'intérieur“ permettent d'entrendre les voix de différents protagonistes de diverses expériences collaboratives, comme celle des médiateurs.trices “encore trop peu entendues dans l'univers de la petite enfance“. C'est par exemple Christelle, assistante maternelle qui était au départ “plutôt dubitative avant la toute première séance, par rapport à sa durée, à ce lieu où l'on observe plutôt qu'on ne touche, à cette ambiance où le silence règne“, ou encore Brigitte, animatrice de RAM (relais assistantes maternelles) qui, face à de telles interrogations estime que “le musée, un lieu de découverte où se développe l'imaginaire, c'est formidable, c'est bien ce dont ont besoin les enfants !“ De quoi révéler, pour les enfants comme pour les adultes, parents et professionnel.le.s, “leur potentiel, en termes de démocratisation de la culture et de réduction des inégalités culturelles et sociales“.
Les bébés au musée, dirigé par Sylvie Rayna, éditions Eres, 208p., 25 €.