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L'égalité commence dès la toute petite enfance (colloque CNAF - Terra Nova - Institut Montaigne)

Paru dans Petite enfance le vendredi 12 septembre 2014.

"Les inégalités sont d'autant plus cruelles qu'elles se forment très tôt", estime Thierry Pech. Les investissements faits pour lutter contre ces inégalités "ne sont ni de droite, ni de gauche, ils sont bons ou mauvais", ajoute Laurent Bigorgne. Les deux responsables des think tanks "Terra Nova" et "Institut Montaigne" ouvraient, hier 12 septembre, le colloque qu'ils organisaient avec la CNAF sur le thème "La petite enfance, clé de l’égalité des chances" (ici). La question de l'égalité "irrigue en effet toutes les interventions" de la Caisse nationale d'allocations familiales pour qui la petite enfance constitue, avec 15 milliards d'euros, un "secteur clé". Frédéric Marinacce, directeur des politiques familiales et sociales insiste d'ailleurs sur l'effort fait pour développer les "relais assistantes maternelles" et pour accompagner les crèches, avec le fonds "publics et territoires", dans leurs projets innovants, notamment l'accueil des enfants de milieux défavorisés, qui s'inscrit cette année dans leurs obligations si elles veulent toucher la "prestation de service unique".

Les textes prévoient, depuis 2002, que les structures d'accueil de la petite enfance développent des projets sociaux et pédagogiques. Mais, fait remarquer Olivier Noblecourt (Terra Nova), le "décret Morano" qui réduit les normes d'encadrement et qui n'a toujours pas été abrogé, fait régresser les crèches du côté de la garderie. Lorsqu'il était en charge de la politique petite enfance de la Ville de Grenoble, il a mis en place des quotas d'enfants pauvres dans les crèches, ce qui était "techniquement simple", mais "politiquement compliqué", même si ce projet a fait consensus au conseil municipal. 

Parler bambin, ACCES, repérage ?

Il a aussi développé, avec l'équipe de Michel Zorman, le programme "Parler bambin" qui organise de manière structurée les interactions langagières entre les adultes et les enfants, notamment ceux qui sont repérés comme parlant le moins. Cette question du repérage a fait réagir la salle, notamment le pédopsychiatre Bernard Golse qui redoute les effets de stigmatisation, et qui de plus, craint que la méthode conduise à ne pas respecter les rythmes propres à chaque enfant. Marie Bonnafé, elle aussi pédopsychiatre et co-fondatrice d'ACCES (Action culturelle contre les exclusions et les ségrégations), estime d'ailleurs qu'il faut "attendre que les fondamentaux se mette en place". Les enfants sont, sauf lésions, tous égaux à la naissance, mais le soutien et les stimulations qu'ils reçoivent génèrent des inégalités dont ils prennent acte très tôt, et qui s'inscrivent dès lors comme des réalités. Elle souligne l'importance des structures narratives dans le développement du langage, mais aussi le "très grand aléatoire" qui préside à la mise en place des fondamentaux, d'où l'importance de leur proposer des activités "ludiques et gratuites", au sens qu'elles ne visent pas des acquisitions, mais qu'elles les permettent.

Elle regrette, dit-elle, l'absence en France de politique cohérente de la petite enfance, et souligne les excellents résultats, en Angleterre, du programme "book start" qui encourage les parents à partager le plaisir que procurent les albums le plus tôt possible (ici). Marc Gurgand (Ecole d’économie de Paris – CNRS) invite toutefois à "la modestie" dans les débats sur les méthodes. Economiste, il peut comparer ce qu'une politique publique donne comme moyens et comme outils aux professionnels et les résultats, à plus ou moins long terme, mais il ignore quelles sont les pratiques réellement mises en oeuvre, et d'où vient qu'elles sont plus ou moins efficaces. Il donne l'exemple de deux programmes, le "Perry Preschool Project" développé dans le Michigan de 1962 à 1967, et l' "abecedarian project" (Caroline du Nord, 1972-1977), dans les deux cas une sorte d'école maternelle intensive pour des enfants afro-américains pauvres (ici et ici). Quarante ans plus tard, on constate qu'on a multiplié par trois leurs chances d'accéder à l'enseignement supérieur et divisé par deux leurs risques de dépendance aux aides sociales. Est-ce dû aux pédagogies employées ou au simple fait que les enfants ont été sensibles à l'attention qui leur était portée ? Peu importe, de son point de vue.

Des conférences de consensus ?

La salle n'est pas convaincue, d'autant que se poursuit le débat à fleuret moucheté qui oppose à "Parler Bambin" les militants qui avaient lancé le mouvement "Pas de zéro de conduite" pour dénoncer les risques liés au repérage précoce des enfants en difficulté. Antoine Guedeney, pédopsychiatre co-responsable du programme CAPEDP d'interventions précoces auprès de mères et d'enfants en situation vulnérable (ici), considère pourtant que sa responsabilité est de mener une recherche scientifique reconnue par ses pairs, internationalement, et que "c'est ensuite au politique de décider si les actions doivent être ou non ciblées".

Daniel Lenoir, directeur général de la CNAF, se demande s'il ne serait pas bon de convoquer des "conférences de consensus" pour faire le point sur les méthodes et leurs évaluations. Sans aller jusqu'à créer une "Haute autorité de la Petite enfance", il faut agir car "si on fait rien, il y aura un effet cumulatif des inégalités". Et il rassure un public composé d’experts, de professionnels de l’accueil de la petite enfance, d'élus, de responsables du secteur associatif et du privé : "nous avons les moyens d'accompagner le développement de l'offre; cela ne dépend pas de nous, cela dépend de la capacité des offreurs à la développer." Thierry Pech, en ouverture du colloque, avait évalué à "au moins 24 milliards d'euros" le coût de l'échec scolaire. Au-delà des polémiques sur les méthodes, sur le repérage, sur les pédagogies structurées ou aléatoires, et des inquiétudes sur la possibilité de diversifier effectivement le public des crèches pour davantage de mixité sociale, la nécessité d'investir dès le plus jeune âge fait manifestement consensus.

P. Bouchard avec M. Delachair

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