Congé de naissance, santé mentale, Ciivise... Au Sénat, Sarah El Haïry dévoile sa feuille de route
Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Justice le vendredi 08 mars 2024.
“Le désir de fonder une famille est plus important que la réalité“ constatait Sarah El Haïry mercredi 6 mars devant les sénateurs de la Commission des affaires sociales pour expliquer un des axes de la politique qu'elle souhaite mener à bien.
Si la ministre déléguée chargée à la fois de l'enfance, de la jeunesse et des familles souhaite “ne jamais porter de jugement moral“ sur les femmes qui ne souhaitent pas avoir d'enfant, elle fait valoir le premier frein à lever que représente la problématique “de la garde“. Il est ainsi question d'une “solidarité familiale“ qui ne s'exerce plus de la même manière qu'autrefois, “parce qu'on a des grands parents qui sont plus loin, que le travail nous amène parfois à nous éloigner d'un soutien familial, ou qu'il est simplement absent“.
Le congé de naissance, qui devrait remplacer le congé parental (avec selon les dernières informations une indemnité fixée à 50 % du salaire du bénéficiaire) a plusieurs fois été abordé. Il doit “venir corriger la situation de la Prestation partagée d'éducation de l'enfant“ (PreParE), une allocation forfaitaire dont toutes les familles ne peuvent bénéficier en raison de la “réalité du coût de la vie“, malgré un temps “nécessaire (pour la) construction affective sur les premiers mois“. La question de la durée “est encore en concertation“ tout comme celle du partage entre les parents, en revanche il sera “mieux rémunéré“ et ne remplacera pas les congés maternité et paternité.
Mais le congé de naissance “n'a de sens qu'avec la montée en charge du service public de la petite enfance (SPPE)“, qui souffre aujourd'hui d'un manque de moyens d'accueil : “tant que nous ne sommes pas en capacité de proposer une solution de qualité à prix raisonnable à toutes les familles, tant qu'on ne réduit pas l'écart entre les gardes individuelles avec les centres maternels et le mode plus collectif de la crèche, il reste une inégalité d'accès qui ne tient pas.“
Or, poursuit Sarah El Haïry, “la petite enfance vit aujourd'hui une réelle crise“, notamment de l'attractivité des métiers, alors que la démographie fait prévoir un départ en retraite en 2030 de 40 % des assistantes maternelles exerçant actuellement, soit 300 000 places estimées, alors qu'il en manquerait déjà plus de 200 000.
La crise se situe également entre les différents territoires, ainsi pour ne pas valoriser un mode de garde plus qu'un autre, la ministre souhaite les faire converger, d'où des “travaux pour (..) permettre d'atténuer cette charge“, en mobilisant entre autres les blocs communal et intercommunal.
Les prestations familiales pourraient-elles être versées plus vite comme l'allocation de naissance avant que celle-ci ne survienne ? C'est une des autres questions que pose la ministre déléguée, qui songe à réduire un certain nombre d'effets de seuil qui touchent en partie la classe moyenne avec pour incidence, parfois, de ne pas réaliser un désir d'enfant à cause de réalités économiques et financières. Ainsi une réforme des compléments de mode de garde en 2025 pourrait, en adaptation aux besoins actuels des familles, offrir la possibilité pour les deux parents de la toucher en cas de garde alternée, ou l'étendre pour les familles monoparentales jusqu'aux 12 ans de l'enfant.
Sur ces modes de garde enfin, elle évoque les conditions d'attribution des places en crèche avec un calendrier qui n'est parfois pas adapté à l'arrivée de l'enfant, qui peut être en décembre tandis que les commissions peuvent être passées. Il s'agit aussi du sujet de la transparence sur les caractéristiques d'attribution des places en crèche.
Quant au projet des 1000 premiers jours, il “n'a pas été abandonné“ même s'il y a eu une évolution dans l'organisation qui consiste à vouloir désormais “passer d'un mode projet à une politique publique portée et pérennisée“. Cette stratégie “fonctionne“, selon Sarah El Haïry, elle a apporté un certain nombre de réponses avec des expérimentations comme le “kit“ (la bébé box), elle a levé des tabous “sur la question du post-partum“, avec “l'application sur les téléphones portables qui apporte de l'information étayée“. Un des axes prioritaires est le renforcement de la prévention périnatale, à savoir la systématisation des entretiens prénataux précoces en PMI. Aujourd'hui seules 50 % des femmes en bénéficient, l'objectif est “d'aller chercher les 80 % en 2026“.
Les difficultés de santé seront abordées dans la continuité des travaux des assises de la santé de l'Enfant et de la pédiatrie, avec une priorité mise sur l'enjeu de la santé mentale que l'on “n'arrive pas encore à appréhender dans sa globalité“. La ministre déléguée évoque en effet “un effondrement toutes classes sociales confondues“ de la santé mentale chez les enfants, qu'elle souhaite traiter avec un volet médical, notamment sur l'accès aux soins via le “chèque psy“, mais également avec la question de la prévention alors qu'apparaissent de “nouvelles addictions“ ayant des conséquences au niveau social, sur la croissance mais aussi si leur scolarité. Il s'agit donc d'avoir “une globalité de regards“ pour arriver à apporter des réponses, sachant que Gabriel Attal “l'a mis très haut“ dans ses priorités, en conséquence de quoi devraient être fournis “les moyens nécessaires“ pour continuer ce qui a été commencé en la matière.
Elle traitera également le sujet de l'exposition aux écrans des jeunes enfants dès réception des conclusions des experts mandatés pour réfléchir à des réponses, ainsi que celui du surpoids chez les jeunes, à l'école mais aussi aux niveaux péri et extra scolaire “dans le cadre du soutien à la parentalité“ mais elle ajoute le besoin d'accès à la prévention dans le rural “quand on n'a pas de base d'informations ou de données sur les professionnels disponibles“.
Sur la protection de l'enfance, il faut “assurer la pleine application de la loi Taquet“ c'est à dire “relancer très vite les groupes de travail (expérimentation d'un comité pour la protection de l'enfance à laquelle participent 10 départements pour une durée de 5 ans, ndlr) afin d'apporter des réponses à des réalités territoriales très diverses“.
Concernant le décret récemment publié sur l'interdiction de logement à l'hôtel des enfants de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), est évoqué un manque de clarté par la ministre déléguée (par exemple sur la question de la “qualification“ de l'adulte présent 24h/24), qui indique vouloir voir sa mise en œuvre opérationnelle avant d'en tirer les conséquences avec un éventuel autre décret.
Pour les assistants familiaux, il serait intéressant de “permettre à plus de personnes qui le souhaitent de pouvoir accompagner les enfants“, alors qu'il est aujourd'hui difficile de combiner un autre travail en plus de celui-ci. S'il n'existe pour la ministre déléguée pas de “raison objective“ à cette disposition, il faut “accompagner cette volonté des familles en permettant les formations nécessaires“ au vu du nombre grandissant d'enfants à protéger et du manque en places et de ressources humaines. Aussi, elle souligne outre ce besoin d'assouplissement, celui de travailler sur la reconnaissance du métier, financièrement mais aussi par rapport à la place dans les équipes pédagogiques et autour de la relation avec les PMI.
Concernant les travaux de la Ciivise, en difficulté depuis que la commission sur l'inceste a connu de nombreuses démissions dont celle de ses deux nouveaux co-présidents, Sarah El Haïry “(s)'attelle à sortir de cette situation“ avec une nouvelle gouvernance qui devrait être rapidement annoncée. Sur le fond, elle souligne le dernier rapport établi par sous la présidence du juge Edouard Durand “de très bonne facture“. Elle considère que les 30 000 témoignages recueillis en 2 ans d'exercice ne sont “que le début“ et qu'il s'agit là d'un “vrai tabou en train d'être levé avec une parole qui trouve de plus en plus sa place“. Elle ajoute que membres de la Civiise l'ont d'ailleurs alertée “sur le fait qu'il fallait approfondir la question de l'enfant, de la parole dès le plus jeune âge, sur les doubles vulnérabilités“ (comme chez les enfants porteurs de handicap par exemple). Elle souhaite au final “mettre en œuvre les 82 recommandations“ du rapport, mais ne peut s'avancer à donner un calendrier.
La vidéo ici