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Chronique ordinaire des jours extraordinaires - 26 mars

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Culture, Justice, Orientation le jeudi 26 mars 2020.

ToutEduc tient chronique des petits gestes et des petits faits des jours du confinement, des bonnes et des mauvaises surprises des acteurs de l'éducation, des situations qu'on n'imaginait pas, des outils auxquels on ne pensait pas... Vous pouvez nous adresser vos textes, de 3 à 25 lignes, du positif ou du négatif, mais ancré dans la singularité de votre expérience.

F. proviseure d'une cité scolaire

9, 10ème jour de confinement ? On ne sait plus trop ! On a, à la fois l’impression de s’installer dans la durée, déjà, et dans le même temps, de juste débuter quelque chose de nouveau et de totalement déstabilisant.

Ce matin (hier matin, ndlr), je suis seule. Les adjoints du collège et du lycée sont chez eux avec leur famille. Je reçois juste une jeune élève de 5ème dont les parents sont infirmiers. Plutôt que s’installer dans un bureau près du mien (après avoir passé le produit désinfectant comme il se doit), elle préfère, seule, s’installer dans une salle de classe de la grande barre dans lequel le soleil donne une pleine lumière de printemps.

La solitude s’accentue face aux téléphones (portables et standard) qui s‘emballent dans les deux dernières heures de la matinée, simultanément à une visio que j’ai eu la bonne idée de programmer au même moment avec les CPE, en télétravail depuis leur domicile et à une maman qui vient chercher un ordinateur portable pour son fils en classe de 5ème. La maman patiente au soleil dans la cour et les interlocuteurs téléphoniques sont priés de rappeler à partir de midi …

Et puis, une deuxième visio pour, cette fois, un projet un peu fou d’expérimentation pluridisciplinaire pour l’année prochaine avec des partenaires associatifs. Un enseignant nous rejoint (virtuellement s’entend). Et voilà que, de nouveau, l’étincelle rejaillit : on discute, on échafaude des actions, on propose, on a le désir de construire.

Une fois l’écran de l’ordinateur éteint, la réalité présente revient à la conscience et on se retrouve à gérer un désormais quotidien anxiogène.

Ma petite élève retourne chez elle, sa mère est rentrée. Et les mails reprennent toute la place dans ma tête et ma fin d’après-midi.

Quand ressortirons-nous ?

J-B, directeur national d’un réseau associatif

Aujourd’hui (hier, ndlr) une journée dense, ça me fait bizarre de dire ça mais c’est pourtant la réalité. Je n’ai pas arrêté. Une des activités de l’association où je milite est de former des acteurs et des actrices éducatifs. Dans le cadre du confinement, nous essayons de continuer la formation de nos stagiaires. Cela me demande donc du temps pour accompagner la création de nouvelles séquences de formation à distance. C’est quand même un point positif, une grande partie de notre réseau se mobilise pour créer de nouveaux contenus pédagogiques. Nous essayons de faire en sorte que ces créations restent pertinentes, innovantes, interactives… Nous n’allons pas créer des séquences où il faut lire un texte, remplir un QCM, puis lire un autre texte, remplir un autre QCM, puis regarder une vidéo et … remplir un QCM … Nous essayons de créer des séquences en remettant du collectif, en remettant du travail d’équipe ; il est essentiel dans la création de séquences de formation à distance, de conserver un équilibrer individu/groupe dans le processus de formation. Cela demande du temps d’accompagnement… On le voit bien actuellement avec les propositions de "classe" en ligne, on ne peut laisser les élèves seuls sans interaction avec d’autres élèves et avec l’enseignant.

J’ai également participé aujourd’hui à une réunion, d’une confédération nationale des mouvements d’éducation populaire qui promeut les vacances collectives, pour organiser la mobilisation de nos différents réseaux afin de participer à la solidarité nationale ; notamment en nous inscrivant sur la plateforme de la réserve civique du gouvernement.

Je n’ai pas eu le temps aujourd’hui d’aller participer à la séance de sport de mon fils. Je n’ai également pas eu le temps aujourd’hui de poursuivre la construction de la voiture en bois de mon dernier fils. Ma femme à également a été mobilisée toute la journée pour son travail. Heureusement hier soir, nous avons pu assister "au cours" de mon autre fils, l’ainé, sur Kant et la philosophie déontologique...

Demain matin, je prendrai du temps pour pouvoir accompagner mes enfants, soit à la réalisation d’activités, soit dans l’accompagnement de leurs travaux scolaires.

J’espère pouvoir y arriver !!!

J, responsable de formations au diplôme d'Etat et au diplôme d'Etat supérieur de "Jeunesse, Education populaire et Sports" (DEJEPS et DESJEPS) - Récit de la journée du vendredi 20 mars

5h. La procrastination a son revers, sentiment d’être plus efficace certes, car le film continue à tourner en arrière-plan pendant qu’on fait autre chose, mais je me réveille avec une crainte : et si ce matin, il n’y avait pas de connexion Internet … ? Vérification faite avant de passer à la douche, tout semble OK. Dans moins de 4 heures, deux groupes en FOAD (formation ouverte et à distance, ndlr), une première, mais pas le temps de s’inquiéter, il reste du taf pour qu’à 9 h tout soit prêt.

La veille, les choses étaient à peu près claires sur les scenarii. Pour les DEJEPS : trois textes à synthétiser, extraits des actualités de la FONDA (la fabrique associative, ici, ndlr), travail à effectuer en sous-groupes en écriture collaborative à distance. Pour les DESJEPS : la suite du "bazar de la laïcité", avec une inconnue, celle de savoir combien de stagiaires pourront être synchros à l’heure dite. Un autre frisson secoue mes neurones encore un peu endormis : est-ce que la plateforme Claroline fonctionne ?? Oui tout va bien, pas de panique. On s’y met …

Mon timing est serré, mais je ne peux m’en prendre qu’à moi. Il me faut un peu de temps avant 9h pour vérifier que j’ai bien accès au serveur des DES sur Discord. Zut, je ne les ai pas, mais Pauline est réactive et raccorde les tuyaux en un tournemain. Car la grande première de la journée, ce n’est pas tant d’avoir deux groupes en même temps, c'est rare, mais on arrive toujours à jongler. Non, aujourd’hui c’est le saut dans l’inconnu avec de la FOAD en "Chat" sur Discord. Certes tout est prêt sur Claroline, mais les questions se bousculent. Plus de temps pour tergiverser, il est 9h : il faut se jeter dans l’eau froide et nager !

Les stagiaires arrivent, se connectent, se saluent amicalement. C’est parti. Les DE s’y mettent sans broncher, le groupe est soudé et sait déjà faire face aux imprévus. Aucune question sur les consignes, je peux me consacrer aux DES. Samia me signale qu’elle sera peut-être un peu en pointillé car les enfants sont là, Tiphaine a pu faire garder les siens, par une voisine je crois. Clémence est sur le pont pour son boulot (réquisition de son périscolaire pour accueillir les enfants du personnel de soin). Elle finira par nous rejoindre dans l’après-midi. Pas facile pour elle de se mettre dans le sujet. Marine est là, mais ne "dit" pas grand-chose, comme si elle se mettait à l’écart. Je ne la vois pas, mais je l’imagine. Il faudra que je pense "à aller la chercher". Grégoire aide Saïd à régler des problèmes de connexion sur Discord. Tous les autres sont là. On s’y met tout doucement en revenant sur la séquence du mardi. J’avais sciemment mis en place des "teasers", on revient dessus. Le travail avance et je me rends compte que je ne pourrai pas accorder aux DE autant de temps que je l’avais prévu, je dois rester au plus près des DES pour ne pas les perdre et maintenir le rythme. Je regarde quand même leurs productions : il y à dire mais ils ont bossé. Alain me relaie pour commenter le travail d’un groupe, ça tombe bien, le travail collaboratif c’est aussi cela ! Je prendrai le temps de leur faire un retour, en différé.

Il est déjà l’heure de la pause de midi, je suis à peu près dans les clous, un peu en retard sur ce que j’avais prévu, mais c’est bon signe, les stagiaires bossent, malgré tous les freins. La séance suivante est toujours un temps un peu périlleux dans la formation laïcité, puisque c’est aux stagiaires de donner la matière avec des situations vécues, qu’il s’agit de mettre au travail. Ce qui m’inquiète vaguement, ce n’est pas tant cette inconnue, mais la manière dont nous allons fonctionner à distance, car ce temps est basé sur des réelles interactions. Finalement, je recueille 5 situations. Je rame un peu pour les faire formuler de telle manière qu’elles puissent ensuite faire l’objet d’un exercice de résolution en sous-groupes, car j’ai fait un parti pris hasardeux : celui de n’utiliser que le Chat texte et pas la voix. Je sais bien pourquoi et il faudra que je me fasse violence une autre fois. Malgré tout, on y arrive. Les idées fusent, et on sent la tension monter sur quelques argumentations (l’école "libre", les contrôles d’instruction faits – ou pas – par les IEN au sein de la communauté gitane, …). Je me concentre pour ne pas me laisser déborder et ramener les échanges vers notre sujet. Cela nous aura pris presque l’après-midi. Il me faut passer à la trappe la visite que j’avais prévue en Europe et dans d’autres pays. Pas grave, les ressources sont dans Claroline. Je fais le choix de calmer le rythme et de prendre le temps de clore en douceur cette semaine hors normes. Le tour de table fait état d’une fatigue, de la difficulté d’être dans le même lieu parent et stagiaire, directrice et stagiaire, de la difficulté à maîtriser des outils et probablement aussi, de celle qu'induit une forme d’attention nouvelle. Mais, au final, une satisfaction d’avoir continué, malgré tout et découvert de nouveaux horizons qui trouveront à coups sûrs de quoi alimenter les projets et les futures manières de travailler. Réflexivité, disions nous lors d’une récente réunion d’ingénierie …

Il est presque 17h et les noms s’effacent peu à peu dans la colonne de droite, non sans que tous se soient copieusement salués et souhaité le meilleur pour chacun.

Je reste assis en face de l’écran, le temps de faire retomber la pression. Sensation nouvelle, fatigue nouvelle. Et un sentiment grandit : les visages m’ont manqué. Je ne connais pas grand-chose des théories sur la formation à distance, mais je sais que ne pourrai jamais former sans connaître les personnes à qui je m’adresse.

 

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