Petite enfance

Les institutions et l'Ecole peuvent être maltraitantes à l'égard des enfants et des professionnels (Défenseur des droits)

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Justice le mardi 19 novembre 2019.

Le Défenseur des droits, dans un rapport publié hier 18 novembre et titré "Enfance et violence : la part des institutions publiques" recommande l’inscription dans "le code de l’éducation et le code de l’action sociale et des familles, de l’interdiction de tout châtiment corporel ou traitement humiliant à l’égard des enfants". Il estime que le plan interministériel "de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants" de mars 2017 "constituait une réelle avancée", mais qu'il était "axé sur les violences intrafamiliales" et "ne s’intéressait pas aux violences commises au sein des institutions". Il note que, "selon les annonces ministérielles, cette situation devrait être corrigée avec la publication à venir d’un nouveau plan de lutte contre les violences faites aux enfants qui concernerait toutes les violences, y compris institutionnelles". Ce plan sera annoncé demain, 20 novembre, par Adrien Taquet.

Dans un premier temps, le rapport analyse les violences faites aux enfants et en rappelle l'importance. En ce qui concerne les violences de nature sexuelle, une enquête menée en 2015 par l’INED a montré que 8‰ des femmes et 3‰ des hommes "déclarent avoir subi des violences commises par des professionnels pendant leur minorité", dont un grand nombre "dans le cadre de la scolarité", ce que confirme une autre enquête de l’association "Mémoire traumatique et victimologie" qui cite également "les colonies de vacances, les centres aérés et tous les systèmes de garde, le milieu du soin, dont les instituts médico-éducatifs (IME), puis le milieu des loisirs, l’institution religieuse, l’apprentissage et les lieux de stage, le placement en foyer et le sport" tandis que "les enfants en situation de handicap, en particulier mental, auraient quatre fois plus de risques de subir des violences sexuelles que les autres" (voir ToutEduc ici). Le rapport souligne qu' "une meilleure identification des violences sexuelles passe également par le renforcement de l’éducation à la sexualité"

Autres violences, celles que subissent les jeunes eux-mêmes violents de la part de personnels pénitentiaires ou hospitaliers dans les services de psychiatrie. "Rares sont les équipes réellement formées à des techniques dites de 'des-escalade' permettant de repérer la montée de la violence, de la prévenir ou de la dériver" alors que l’usage de la force ne devrait être qu’une mesure "de dernier recours".

Encore faut-il entendre la parole des enfants et des jeunes, ainsi que de leurs parents. Jacques Toubon rapporte avoir été saisi "par un collectif de parents d’élèves" au sujet de violences commises par la directrice de l’école maternelle. Ces violences avaient été signalées à plusieurs reprises, en 2011 et février 2015 par des ATSEM. Il a fallu attendre juillet 2015 et qu'elle ait été "placée sous contrôle judiciaire" avant qu'une mesure provisoire de suspension ne soit prise. Pour le Défenseur des droits, lorsqu'un enfant allègue "comportement inadapté d’un professionnel qui, lui, le conteste, et dans l’attente de résultats d’une enquête interne par exemple", le principe de précaution doit prévaloir, quitte "à envisager une mesure de suspension à l’encontre du professionnel".

Le rapport attire d'ailleurs l'attention sur les modalités d'audition des élèves victimes lors des conseils de discipline qui jugent leurs harceleurs. Le rapport souligne par ailleurs que le 119, le SNATED (service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger) "manque de moyens lui permettant de répondre directement à l’intégralité des appels qu’il reçoit".

Plus globalement, s'agissant des faits de maltraitance commis par des adultes, le Défenseur des droits "recommande que soit engagée une réforme législative afin de rendre obligatoire la consultation du bulletin n°2 du casier judiciaire national et du Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) préalablement à tout recrutement de professionnels ou de bénévoles devant intervenir auprès de mineurs". Il demande que lorsque les évaluations pointent des défaillances importantes "des conditions d’accueil et de prise en charge", on n'hésite pas fermer un établissement. "Or, qu’il s’agisse de retrait ou de non renouvellement d’autorisation ou de retrait d’habilitation, ces mesures demeurent rares."

Le Défenseur des droits recommande aussi "le déploiement, sur l’ensemble du territoire national, d’unités médico-pédiatriques judiciaires".

Se pose aussi la question des lanceurs d'alertes après que la Cour de cassation "a considérablement réduit le champ des faits" pouvant être considérés comme des actes de maltraitance. Il recommande d'utiliser une procédure "d'urgence" reposant sur la qualification d’un "danger grave et imminent" ou d’un "risque de dommages irréversibles" puisqu'il "est communément admis aujourd’hui, grâce notamment aux neurosciences, que les brimades, insultes, humiliations, ou autres formes de violences physiques ou morales entraînent des conséquences sur le développement de l’enfant et sur sa santé future". Cette procédure permet "de se dispenser du signalement auprès du supérieur hiérarchique" et d'adresser "un signalement à l’autorité judiciaire", voire à la médiatiser "tout en bénéficiant de la protection du lanceur d’alerte".

Les violences peuvent être le fait d'autres enfants, notamment dans les cas de harcèlement scolaire : "Malgré les efforts déployés par le ministère de l’Éducation nationale (...), ce phénomène reste important" et pour les enfants qui en sont victimes, "les conséquences peuvent être très graves". Or le Défenseur des droits "continue à être saisi de réclamations dont il ressort une importante difficulté des équipes éducatives à identifier, et réaliser l’ampleur des faits de harcèlement. Ces violences sont encore trop souvent banalisées, minimisées, considérées comme des 'chamailleries' entre enfants ou adolescents." De plus, "les chefs d’établissement sont souvent réticents à une prise en charge du harcèlement lorsque des plaintes sont en cours d’enquête ou ont été classées sans suite, alors que les deux procédures sont parfaitement indépendantes et compatibles (...). Les établissements sociaux, tels que les foyers de l’enfance ou les maisons d’enfants à caractère social et médico-sociaux, comme les instituts médico-éducatifs (IME) ou les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP), peuvent être aussi des lieux de violences entre pairs."

S'agissant des conditions de scolarisation, le Défenseur des droits s'inquiète de la situation des élèves en situation de handicap. Certes, "il considère nécessaire de développer des réponses adaptées à toutes les situations de handicap en favorisant, le plus possible, l’inclusion scolaire", mais "scolariser tous les enfants handicapés dans des établissements et des classes ordinaires, quels que soient la nature de leur handicap et de leurs besoins, peut pour certains constituer une forme de maltraitance" d'autant que "la présence d’un accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH) est souvent considérée comme la seule et unique réponse à apporter aux besoins de l’enfant. Il en va de même pour les temps d’accueil périscolaires.

La violence "peut également être engendrée par la carence d’une institution publique qui ne répond pas aux besoins de l’enfant, ne respecte pas ses droits ou ne prend pas en compte son intérêt supérieur comme considération primordiale. Elle est alors indirecte, moins visible et conscientisée." Est notamment mise en cause l'Aide sociale à l'enfance et les carences en matière de liens avec les parents et avec les frères et sœurs dans le cadre des parcours de placement, mais aussi de permanence : "Les enfants sont souvent ballottés d’une structure à l’autre. Du jour au lendemain, leurs liens avec la structure dans laquelle ils étaient placés sont coupés."

Le Défenseur s'inquiète encore de la prise en considération des enfants "dans les situations d’interpellations policières (des parents) en matière administrative ou judiciaire ou de placements en centre de rétention" et du nombre de mineurs incarcérés, qui a augmenté de 15% entre 2016 et 2018 : "Comme le note le pédopsychiatre Boris Cyrulnik, l’emprisonnement des mineurs est la pire des réponses : elle provoque l’isolement sensoriel, l’arrêt de l’empathie, l’augmentation de l’angoisse, entretient les relations toxiques, l’humiliation. En sortant de prison, on constate que l’enfant n’est plus apte à réguler ses émotions."

Parmi les autres recommandations du Défenseur des droits figure l'attention portée à la parole de l'enfant : "Il serait opportun que cela permette d’associer les enfants lors des évaluations ou contrôles des établissements dans lesquels ils sont accueillis et que leur avis et propositions soient pris en compte." Certaines procédures en assistance éducative, ajoute-t-il, se déroulent sans que le juge des enfants ait rencontré une seule fois le mineur concerné ! Cette absence d'écoute vaut aussi pour l'Education nationale et le rapport cite le cas d'un jeune transsexuel scolarisé en internat dans un lycée et que l'on continue d'appeler par son prénom féminin: "Le proviseur a indiqué ne pas avoir mesuré l’état émotionnel dans lequel se trouvait son élève".

Mais "le bien-être des enfants accueillis repose en partie sur celui des professionnels qui les accompagnent". Or "les institutions publiques ont progressivement modifié leur organisation (...) avec pour objectif premier une maîtrise de leurs dépenses (...). Il résulte de ces logiques gestionnaires une perte du sens du travail pour les professionnels". Il est pourtant "essentiel de permettre à ces derniers d’exercer leur mission dans un cadre cohérent et bienveillant" et le Défenseur des droits "recommande que chaque institution prenant en charge des enfants organise des temps d’analyse des pratiques dûment financés."

Le rapport ici

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →