Petite enfance » Revue de la presse et des sites

Instruction obligatoire dès 3 ans : "l’école maternelle devient une école comme les autres" (P. Garnier)

Paru dans Petite enfance, Scolaire le dimanche 12 mai 2019.

L'abaissement à 3 ans de l'obligation d'instruction constitue "une profonde rupture dans l’histoire de l’école maternelle" pour Pascale Garnier. Professeure en sciences de l’éducation (Paris-13, laboratoire EXPERICE), elle publie un article sur le site "Les pros de la petite enfance" dans laquelle elle estime que cette disposition législative,"bouleverse profondément l’école maternelle". Elle se fonde sur un ensemble d'arguments qui tranchent sur ceux de la plupart des adversaires de cette mesure, qui lui reprochent son aspect quasi purement symbolique au regard du nombre d'enfants qui ne sont pas scolarisés à cet âge ou ses implications en termes de financement du privé sous contrat qui n’en sont pas moins essentielles, souligne-t-elle.

Cette loi impose d'évaluer l’instruction d'enfants de 3 ans, dans les familles ou à l'école maternelle. Mais comment "démêler ce qui tient d’une dynamique entre développement et apprentissage" ? La chercheuse souligne à cette occasion l'intérêt des jardins d'enfants "dont l’organisation et la souplesse pédagogique sont largement favorables à l’accueil de la diversité des enfants, notamment ceux en situation de handicap" alors que "le projet de loi consacre une définition de l’école maternelle comme lieu d’instruction", "centrée sur la didactique des disciplines scolaires". D'ailleurs, une version provisoire de la circulaire de rentré 2019 (voir ToutEduc ici) "indique nettement les priorités : phonologie, vocabulaire, mathématiques" et demande de "densifier les pratiques d’enseignement". L’école maternelle devient donc "une école comme les autres".

"L'idée même d'enseignement est problématique"

Cela favorisera-t-il au moins les apprentissages scolaires ? Il existe certes aujourd’hui "un consensus au niveau international sur les effets positifs" d’une préscolarisation, mais avec "un rendement décroissant". Le bénéfice d’une année est "bien supérieur à celui d’une année supplémentaire, lui-même supérieur à une troisième année". L'idée même d'enseignement est problématique, a fortiori selon Pascale Garnier pour le programme "Parler bambin" qui vise, "dès la crèche" à prévenir l’échec scolaire et méconnaît " les spécificités des apprentissages des jeunes enfants". Elle rappelle que le psychologue Lev Vygotski distinguait les apprentissages "spontanés", "l’enfant apprend en suivant son propre programme", à son initiative, et les "apprentissages réactifs", ceux "où l’enfant apprend en suivant le programme d’un enseignant". Ce chercheur envisageait ce type d’apprentissage "à partir de l’âge de 6-7 ans".

Tout enseignement demande en effet "une objectivation des savoirs", une formalisation des situations d'enseignement qui peuvent être ainsi "vidées de significations pour les enfants" et "font obstacle à leur engagement dans les activités". Un apprentissage suppose de plus une forme de réflexivité : "Il ne suffit pas que les enfants apprennent, il leur faut être capable de dire quels sont les objets de savoirs qu’ils ont (en principe) appris." La chercheuse donne l'exemple du jeu de dinette transformé "en situation d’enseignement numérique quand il s’agit de mettre la table avec le même nombre de verres que d’assiettes". Quant au langage, il n'est plus moyen de communication, "il s’objective en maitrise de la langue". Ces exigences se trouvent "le plus souvent hors de portée des jeunes enfants" dans les conditions actuelles de scolarisation et sont discriminantes socialement.

Une "scolarisation des familles"

Pascale Garnier interroge encore cette disposition législative sous un autre angle. Jusqu'à présent, l'Etat devait "accueillir en maternelle tous les enfants à partir de trois ans, la nouvelle loi engage à l’inverse la responsabilité individuelle des familles. Alors qu’elle était plébiscitée par les parents, cette fréquentation volontaire devient une obligation assortie de sanctions". Elle évoque une "scolarisation des familles (...) à travers tout un système de contraintes, de normes et de classements, qui envahissent la vie familiale et s’impose au cœur des relations entre parents et enfants". 

Elle s'inquiète enfin de voir l’identité des enseignant.e. s de maternelle se durcir à mesure qu’elle se focalise sur celle "de spécialistes des situations enseignement-apprentissages scolaires" sans formation aux spécificités de l’école maternelle et des jeunes enfants.

L'article "L’instruction obligatoire dès 3 ans : quels enjeux pédagogiques, sociaux et politiques ?" ici

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