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Pour une école de la confiance, l'esprit de la loi : l'extension de l'obligation de formation de 3 à 18 ans

Paru dans Petite enfance, Scolaire le mercredi 20 février 2019.

L'Assemblée nationale vient d'adopter, hier mardi 19 février 2019 en première lecture, le projet de loi "pour une école de la confiance". Le nombre des amendements qui ont été discutés et qui se comptent par centaines, témoignent du poids des décisions qui prises. L'analyse des débats qui se sont tenus dans l'hémicycle du 11 au 15 février, des argumentaires des propositions d'amendements, des choix qui ont été opérés permet de saisir "l'esprit de la loi".

Cette nouvelle "École", c'est d'abord celle qui rend obligatoire l'instruction, de la petite enfance à la majorité, entre 3 et 18 ans. Cet encadrement plus large de l'instruction et de la formation fait plutôt consensus du côté des tout petits mais, du côté des jeunes adultes, ressuscite de vieux débats et entraînera une modification importante du système public de formation. Globalement, l'adoption des premiers textes laisse apparaître, sur ce sujet comme les autres, une grande inconnue : celle des moyens et des modalités de mise en œuvre.

Instruction obligatoire dès 3 ans : une idée "éclairée" sur le fond mais floue sur la mise en œuvre

Mesure phare de ce projet de loi, et idée que défendait déjà avec vigueur Najat Vallaud-Belkacem, l'obligation d'instruction à trois ans a trouvé peu de détracteurs. Même si l'intérêt "pédagogique" n'est pas partagé par tous, la majorité des députés y voient une mesure de justice sociale en se fondant sur l'argument que les écarts de niveau d'acquisition du langage à l'entrée au cours préparatoire peuvent avoir des conséquences néfastes pour la réussite scolaire alors que, selon les cognitivistes notamment, c'est un âge clé pour le développement cognitif, social et émotionnel du cerveau. D'ailleurs, à la question de savoir s'il fallait légiférer sur ce point et introduire une obligation alors que cette mesure concernera au final moins de 2 % des enfants, soit environ 26 000, des députés, comme Brigitte Liso (LREM) ont évoqué le cas des DOM-TOM, où les enfants sont nettement moins scolarisés qu'en métropole (85 % et à 82 % à Mayotte et en Guyane contre 99 % en France métropolitaine).

En revanche, les décisions qui ont été inscrites dans le marbre apportent peu de réponses concernant les moyens (pour absorber les enfants concernés dans les écoles, effectuer le contrôle de l'assiduité, celui de l'instruction à domicile pour ceux qui ne scolariseront pas leur enfant, concernant l'ARS, l'allocation de rentrée scolaire, légalement liée à la scolarisation obligatoire...), même si ces points ont été évoqués oralement. De même pour l'encadrement et les modalités de mise en œuvre de la mesure, ces derniers points étant souvent laissés à la partie réglementaire et non législative.

De toute façon, pas de "raz-de-marée" à redouter, selon le ministre qui s'appuie sur des données démographiques qui prévoient l'accueil, au cours des prochaines rentrées scolaires, de "50 000 à 60 000 enfants de moins que l’année précédente", et parce que les élèves "se répartiront dans le système". Néanmoins, malgré des avis défavorables, ont été adoptés un amendement de la commission, qui inscrit l'attribution par l'État d'une compensation pérenne pour lever l'ambiguïté de la temporalité du financement, ainsi que le principe d'une réévaluation annuelle de cette compensation même si la rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l'éducation jugeait ce mécanisme d'ajustement non justifié, arguant, au regard des données démographiques données par le Gouvernement, que "le surcoût réel pour les communes (...) sera limité". Au départ, le calcul de la compensation devait être fait en comparant le coût de l'année scolaire 2019-2020 à la seule année scolaire 2018-2019, règle "respectueuse de la Constitution", selon le ministre.

Règles relatives au financement du privé et au nombre d'ATSEM non revues

La majorité s'est par ailleurs refusée à revoir le financement de l'école privée, alors que plusieurs amendements souhaitaient des modifications en ce sens - sortir les maternelles privées du champ des nouvelles dépenses obligatoires des communes -. Elle s'oppose également à la prise en charge des forfaits maternelle pour l'école privée aux communes qui ont fait ce choix avant la réforme. Une inégalité de traitement dénoncée par de nombreux députés dont George Pau-Langevin (Socialistes et apparentés) qui estime qu'il n'y a "aucune raison juridique de traiter différemment des situations identiques".

De même, le Gouvernement n'a pas souhaité modifier les règles relatives au nombre d'ATSEM, même si a été évoqué le cas de certaines écoles qui ne disposent pas d'une ATSEM par classe mais d'une ATSEM par école, et il n'a pas donné de précisions concernant les moyens pour la mise en application de la visite médicale obligatoire pour tous les enfants entre 3 et 4 ans entérinée par la loi, alors qu'actuellement le ratio est d'un médecin scolaire pour 15 000 élèves. Jean-Michel Blanquer a seulement affirmé avoir "l'intention" d'y "remédier pleinement" avec la ministre de la Santé.

Fallait-il supprimer les précisions de sexe, de toute nationalité au motif d'une nécessité de concision ?

La majorité a rejeté par ailleurs toute proposition qui visait à aller dans le sens du maintien d'une souplesse, flexibilité et progressivité dans la mise en œuvre de la scolarité obligatoire à 3 ans (possibilités de ne mettre les enfants que le matin par exemple). Pour autant, a été adopté celui de la majorité qui a introduit une dérogation pour maintenir les jardins d'enfants jusqu'en 2021.

Les amendements adoptés en commission qui précisaient que ce droit à l'instruction s'affirmait pour chaque enfant quels que soient la nationalité, le sexe et la situation administrative des parents, ont également été rejetés. Au grand regret de George Pau-Langevin qui rappelait que cette rédaction se justifiait au regard d'une réalité de terrain, "parce que l'expérience montre que, très souvent, des parents considèrent que l'instruction des petites filles est moins importante que celle des garçons ; et, s'agissant des enfants français ou étrangers, parce que nous avons régulièrement des bagarres avec des élus ne voulant pas inscrire des enfants à l'école au motif qu'ils ne sont pas de la commune, que leurs parents habitent dans des squats ou des hôtels sociaux, ou sont des Roms vivant dans des bidonvilles". S'est également ajouté le refus d'adopter des amendements qui, dans la même lignée, visaient à réaffirmer les obligations de scolarisation de toutes les parties. Pour le ministre, l'adoption d'une nouvelle disposition déposée par le groupe LREM qui autorise désormais le DASEN, sur délégation du préfet, à inscrire l'enfant en cas de problème avec la municipalité, devrait permettre de résoudre ces problèmes.

Une ambiguïté sur les attendus en terme de pédagogie

Sur le fond, les critiques étaient moins nombreuses, même si on peut évoquer un paradoxe soulevé par des députés concernant les attendus pour les 0-6 ans. D'abord l'évocation du socle de connaissances, de compétences et de culture comme référence au contrôle pédagogique qui devra être effectué auprès des familles qui feraient le choix de l'instruction hors établissement scolaire. Dans un amendement qui n'a pas été adopté, Valérie Lacroute (LR), soulignait que le socle commun n'est "défini qu'à partir des 6 ans de l'enfant", et qu'à ce titre il existe un "vide législatif" concernant les trois années qui précèdent. Elle demandait donc que "le contenu des connaissances requis soit défini par décret ou le cas échéant que l'exigence de maîtrise par l'enfant soit remplacée par la fixation d'un objectif". Une demande qui allait dans le sens de ceux qui y voient une atteinte à la liberté de choix d'enseignement et notamment aux pratiques alternatives. En outre, Patrick Hetzel (LR) soulignait un traitement inégalitaire entre les instructeurs puisque, "dans sa rédaction actuelle, le contrôle porte directement sur la maîtrise par l'enfant de chacun des domaines du socle alors que les établissements scolaires doivent seulement permettre à l'enfant cette même acquisition". Pour lui, "il y a donc, d'un côté, une obligation de moyens, de l'autre, une obligation de résultats".

Néanmoins, la loi consacre via plusieurs amendements la nécessité de mettre en place un continuum entre 0 et 6 ans et donc celle de diffuser une culture commune et de construire des modules de formation communs à tous les personnels s'occupant de ces tranches d'âges, qu'ils dépendent du ministère de la santé, de celui de l'Education nationale ou des collectivités territoriales. Sont aussi précisés dans la loi les missions des schémas départementaux des services aux familles qui visent à instaurer une meilleure coordination pour le prise en charge des enfants.

Obligation de formation jusqu'à 18 ans sans étude d'impact

Enfin, "à l'autre bout" de la scolarité, une autre nouveauté a été introduite par amendement : l'extension de l'obligation de formation des jeunes qui ne seraient ni en étude, ni en parcours d'accompagnement ou d'insertion, ni en emploi, ni en service civique, de 16 à 18 ans. Derrière cet amendement, le gouvernement affiche des objectifs de lutte contre le décrochage scolaire, d'accompagnement de l'élève dans la construction de son projet et de diminution du chômage. Cet amendement a suscité quelques critiques : son dépôt tardif qui limite son étude, ainsi que l'absence d'étude d'impact qui permettrait "d'évaluer le coût exact (...) et ses conséquences sur l'organisation de notre système éducatif" et d'avis du Conseil d'État. La députée LR Annie Genevard soulignait aussi le paradoxe à rallonger encore la durée de la scolarisation alors que s'était déjà posée la question, lors du précédent quinquennat, de l'âge auquel un jeune peut commencer son apprentissage (14 ans, 15 ans ou 16 ans ?).

La mesure n'a pas non plus été éclairée précisément du point de vue des moyens, alors que cette obligation de formation appelle une intervention publique : qu'en est-il des missions locales et des moyens qui leur sont accordés ? Est-ce les collectivités locales qui vont payer ? Comment mettre à disposition les moyens humains nécessaires ? Quid de la formation dans le contexte soulevé par le député Pierre Dharréville (Gauche Démocrate et Républicaine) de menace de fermeture de 36 centres de l'AFPA, etc. ?

Le détail des comptes-rendus des débats ici

Camille Pons

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