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Université du SNUIPP. Une maternelle de qualité ne passe ni par un renforcement de son caractère scolaire, ni par l'instruction obligatoire à 3 ans (Pascale Garnier)

Paru dans Petite enfance, Scolaire le lundi 22 octobre 2018.

"On peut avoir des ambitions de qualité pour l'École maternelle mais sans passer par l'obligation de la scolarisation à trois ans" puisque 98 % des élèves vont déjà à l'École maternelle spontanément, mesure qui apparaîtra plutôt comme "un instrument de contrôle social", ni "en renforçant encore davantage la dimension de préparation à la scolarité au détriment du développement global de l'enfant". C'est en ces termes que s'est exprimée, samedi 20 octobre 2018, Pascale Garnier, sociologue qui avait coordonné le groupe d'experts chargés de rédiger le projet de programme pour l'école maternelle en 2015.

Cette professeure en sciences de l'éducation et directrice du laboratoire Experice (Paris 13) est intervenue sur le thème "École maternelle : à la croisée des chemins..." à l'occasion de la 18e édition de l'Université d'automne du SNUIPP-FSU, qui s'est tenue à Port-Lecaute, dans l'Aude, du 19 au 21 octobre. Les 400 participants réunis à l'occasion de ces rencontres, chercheurs, enseignants, représentants de structures telle que la Ligue de l'enseignement, ont été notamment invités à échanger sur les récentes décisions ministérielles et les craintes qu'elles suscitent concernant une "remise en cause" des programmes mis en œuvre lors de la précédente mandature. La chercheuse a fondé ses arguments sur les travaux qu'elle mène sur la maternelle, ainsi que sur une récente étude menée avec des équipes norvégiennes, qui a consisté à comparer le fonctionnement d'écoles maternelles françaises avec les structures d'accueil des 1 – 6 ans de ce pays.

L'idée qu'il faut travailler dès la maternelle pour résoudre l'échec ne se vérifie pas dans les résultats

Le retour à un renforcement du caractère scolaire à l'École maternelle a été au centre l'intervention de la chercheuse. Pascale Garnier rappelle à ce titre que si ce caractère a toujours existé depuis la création de la maternelle, il occupait au départ une place moins importante à côté des deux autres "finalités", l'accueil des enfants et l'éducation. Mais il a progressivement "fini par envahir la maternelle au point de secondariser les autres" jusqu'à l'élaboration des récents programmes 2015 qui tendaient à "revaloriser des processus éducatifs globaux", ce qui passait notamment par une "revalorisation du jeu, de la culture artistique, des activités physiques" et l'idée que les enfants sont "tous capables" et "véritables interlocuteurs des adultes".

Or, analyse la sociologue, s'opère, au vu des récentes décisions et annonces ministérielles, un retour au caractère scolaire de l'École maternelle, alors que, d'une part cette conviction "qu'il faut travailler les fondamentaux dès la maternelle pour résoudre les problèmes d'échec" ne se vérifie pas dans les résultats de Pisa pour lesquels les élèves français affichent "des résultats moyens", et que, d'autre part, ce renforcement de la préparation à l'élémentaire "a des effets pervers".

Le renforcement du caractère scolaire à la maternelle a des effets pervers

Il introduit notamment très tôt "toute la violence symbolique de l'école", impose "un seul modèle, l'apprentissage de type formel qui écrase la diversité des apprentissages" et l'idée que "si l'élève n'est pas bon à l'école, il sera mal intégré plus tard". Il introduit aussi très tôt la distinction entre les "familles qualifiées de distantes et celles proches de la culture scolaire", alors que persiste par ailleurs une "rupture avec l'école élémentaire" mais aussi "avec la petite enfance", sachant qu'en France, seuls 18 % des enfants sont accueillis dans des structures d'accueil collectives.

Pascale Garnier dénonce aussi "une vision réductrice des apprentissages" qui risque de se traduire à nouveau par un accent sur la maîtrise de la langue, voire du seul lexique, notamment au CP, alors que le programme de 2015 défendait l'idée qu'il faut "favoriser la communication des enfants". De plus, "la pression des évaluations" va inciter les enseignants à réduire ce qu'ils font à l'objectif de réussite au "testing" et "des résultats à courts termes". Enfin, la chercheuse dénonce un retour à "la valse des programmes" qui va à l'encontre de l'un des principes fondamentaux de la charte des programmes qui avait prévu que la mise en oeuvre de ces derniers devaient être évalués avant d'en faire un nouveau.

Contre les exigences de précocité, donner du temps aux enfants

Pour montrer une autre conception de l'accueil des enfants de 0 à 6 ans, Pascale Garnier a présenté les observations faites par des chercheures norvégiennes et françaises (au laboratoire Experice) dans des classes de maternelle en France et des structures d'accueil des 0-6 ans à Oslo. La comparaison de plusieurs indicateurs montre, selon elle, une France "à la traîne" : près de 80 % des enfants de 1 et 2 ans sont accueillis en structures collectives en Norvège contre 18 % en France ; absence de curriculum pour les 1 à 3 ans ici alors que les enfants de 1 à 5 ans ont le même curriculum en Norvège et sont accueillis dans les mêmes établissements ; les enseignants ici, éducateurs là-bas, ont pour les premiers un master, pour les seconds un master spécialisé, les assistants, en France (les ATSEM) un niveau CAP, en Norvège, un bac spécialisé ; selon l'OCDE, la France investit 7 758 équivalents dollars par enfant contre 13 649 pour le pays nordique ; enfin le ratio adultes/enfants pour les 3-5 ans est ici de 1 enseignant pour 25 enfants, avec la présence non systématique d'une ATSEM, contre 1 adulte pour 6 enfants dans le pays nordique, où les tailles de groupes sont limitées à 18, avec 1 éducateur et 2 assistants.

Enfin, la chercheuse a mis l'accent sur les différences de temporalités. Les structures norvégiennes ne rythment pas le temps autour d'une "alternance rigide" entre temps de classe et récréations, mais tout se joue sous forme d'activités librement choisies, dont la majorité se fait à l'extérieur. Par ailleurs, les âges sont mélangés, avec une importante régulation par les adultes des interactions entre enfants, afin qu'ils partagent les activités et collaborent.

Ce fonctionnement a été montré, sous forme de vidéos, à des enseignants en France. Si une majorité estime que la France pourrait s'inspirer de quelques points, notamment les ratios d'encadrement mais aussi les évaluations, davantage proches de l'observation en Norvège que de traces papiers, ou encore le mélange des âges, la chercheuse plaide de son côté pour un réel questionnement "des valeurs éducatives et de la conception de l'enfant" en France. Pour elle, on pourrait prendre aussi exemple sur la place laissée à la coopération entre enfants, alors qu'ici elle a tendance à être "cassée par une hiérarchie forte" entre l'enseignant et les enfants, un élève n'étant pas autorisé à être aidé par un autre dans une tâche évaluée et souvent "renvoyé à sa responsabilité face à l'échec". Pascale Garnier va plus loin en évoquant l'idéal norvégien : "arriver à ce que tout le monde atteigne le même niveau, quitte à ce que les meilleurs soient pour ainsi dire freinés en contribuant à la réussite des autres". Une conception de l'enfant qui se heurte aux tendances actuelles d' "exigences de précocité et de résultats scolaires de plus en plus fortes alors même que les études et l'espérence de vie s'allongent", et qui visent "à favoriser l'élite" alors que l'on propose "une scolarité compensatoire aux plus faibles". Pour elle, "il faut donner du temps aux enfants et aux professionnels" et mettre en avant leur "qualité de vie" commune.

Camille Pons

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