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"Les pratiques propres à l'école maternelle sont perdues" (S. Sirh, SNUIPP, interview exclusive)

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire le mardi 24 novembre 2015.

A l'occasion de son colloque sur l'école maternelle, le SNUIPP publie un sondage et Sébastien Sirh, le secrétaire général du syndicat FSU du 1er degré, répond aux questions de ToutEduc. Le sondage Harris interactive réalisé fin octobre et début novembre auprès de 1 000 enseignants de maternelle et de 1 000 Français, montre notamment que, pour 79 % des enseignants et 85 % du grand public, l’école maternelle "fonctionne plutôt bien aujourd’hui, à des niveaux nettement en hausse par rapport aux mesures précédentes (respectivement +12 points et +8 points par rapport à 2014)". Mais "la majorité des enseignants estime qu’une classe en maternelle devrait compter 20 élèves, les Français oscillent pour leur part en majorité entre 15 et 20 élèves (...) Les enseignants s’accordent majoritairement à dire que leur métier est plus exigeant qu’avant (86%), une opinion assez partagée par les Français (58%) qui considèrent que la profession s’est plutôt dégradée au cours des dernières années (63%, +6 points)". Près de 4 enseignants sur dix estiment qu’ils ont moins de contacts avec les parents depuis la réforme des rythmes scolaires. Ils sont deux fois plus nombreux à être satisfaits des nouveaux programmes mais pour la plupart, ils ont le sentiment d’y être mal préparés...

ToutEduc : Le sondage fait apparaître à la fois un forte hausse de l'indice de satisfaction à l'égard de l'école maternelle, de la part des enseignant-e-s comme des parents, et en même temps l'image d'une dégradation. N'est-ce pas contradictoire ?

Sébastien Sihr : L'école maternelle est plébiscitée. Elle fonctionne bien, et est clairement considèrée commune école à part avec une pédagogie spécifique : ni garderie, ni petit CP. Chacun a pris conscience de son importance, qu'il s'agisse des premiers apprentissages, du langage, du vivre ensemble, de l'épanouissement des enfants... Mais justement, au vu d'exigences croissantes, elle apparaît insuffisamment soutenue, avec des effectifs trop lourds pour faire la part belle au corps, au développement de chacun, pour s'occuper des "petits parleurs" qui risquent d'être en difficulté au cours préparatoire...

ToutEduc : Il est vrai que les effectifs sont lourds, mais l'idée qu'il faut une ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) par classe a beaucoup progressé, alors que pendant longtemps, c'était une assistante pour deux classes, sauf pour les petites sections...

Sébastien Sihr : Le nombre d'élèves par classe reste bien trop élevé, quelque 7 300 classes comptent plus de 30 élèves, la moyenne est à 25,6, une des plus fortes parmi les pays de l'OCDE. Les enseignant-e-s que nous avons interrogé-e-s estiment à 20 le maximum, et beaucoup de Français le situent même à 15. Il est vrai que de nombreux enseignant-e-s bénéficient de l'aide d'une Atsem, encore que la situation varie d'une commune à une autre... C'est un vrai sujet et nous allons lancer une enquête, d'autant que nous parviennent des signaux inquiétants de transfert des personnels communaux du temps scolaire vers les temps périscolaires, du fait de la baisse des dotations combinée à la réforme des rythmes, les collectivités leur ont demandé de pallier le manque d'animateurs.

ToutEduc : Le sondage montre un autre sujet d'insatisfaction, l'absence de formation avant la mise en oeuvre des nouveaux programmes. Or ces programmes sont plutôt un retour à ce qui a toujours été la spécificité de l'école maternelle...

Sébastien Sihr : Ces nouveaux programmes vont "dans le bon sens" pour 80 % des enseignant-e-s, mais ce n'est pas pour autant qu'ils-elles se les sont appropriés. Depuis près de 10 ans, la formation initiale et continue a été détruite. Les savoirs professionnels auxquels vous faites allusion se sont évaporés, les pratiques propres à l'école maternelle sont perdues. Nous avons assisté à une "élémentarisation" de l'école maternelle, au "papier-crayon"comme cela a été souligné par un rapport de l'inspection générale. C'est tout l'enjeu des nouveaux programmes, faire qu'ils se traduisent dans les classes par des nouvelles pratiques professionnelles adaptées aux jeunes enfants, ce qui suppose un gros effort de formation, de manière constante sur le long terme...

ToutEduc : La formation est rétablie, les programmes publiés...

Sébastien Sihr : Et que se passe t-il ensuite ? Il n'est pas normal par exemple que malgré nos demandes répétées auprès de la ministre, les enseignants de maternelle aient été obligés de se débrouiller seuls pour télécharger et imprimer des nouveaux programmes et des documents d’accompagnement. Tout comme il n'est pas normal que les PE ne bénéficient pas d'un grand plan de formation continue quand dans le même temps le ministère a trouvé du temps et des moyens en termes de formation continue pour la réforme du collège. Quant à la part faite à l'école maternelle dans les ESPE, elle est très faible. L'appel pour un grand plan de développement de la recherche sur l'école maternelle que nous avions lancés, voilà un an, avec une cinquantaine de spécialistes de renom pour que leurs publications alimentent les formations et le métier, est plus que jamais d'actualité.

ToutEduc : Nous avons rendu compte récemment (ici) d'un colloque sur le passage des structures petite enfance à la maternelle, qui mettait en évidence la difficulté pour les professionnels de se situer...

Sébastien Sihr : En effet, nous aurions intérêt à développer les collaborations entre les structures petite enfance et l'école maternelle, et dans le cadre de leur formation initiale, il serait bon que les futur-e-s enseignant-e-s fassent en stage en crèche, ou dans une autre de ces structures, ne serait-ce que pour savoir ce qu'on y fait, pour mieux dialoguer avec les professionnel-le-s qui ont eu les enfants avant eux, et pour travailler avec les collectivités locales...

ToutEduc : Le sondage montre aussi un autre motif d'insatisfaction, les relations avec les parents...

Sébastien Sihr : Avec la réforme des rythmes, les parents voient beaucoup moins les enseignant-e-s. Ce sont souvent les animateurs du périscolaire qui leur remettent les enfants le soir. Or l'école est au centre des tensions de la société. En ces temps de chômage, où le diplôme pèse lourd, les attentes sont très fortes, dès les premières années. Je ne crois pas du tout qu'il y ait une guerre entre l'école et les familles, et les enseignant-e-s ne demandent pas moins de relations. Au contraire. Les enseignants ont bien conscience que les premières années jettent les bases d'une relation de confiance avec les familles dont on sait qu'elle profite à la réussite et au bien être des élèves. Avec les effectifs et la formation continue, c'est pour eux le troisième témoignage d'un manque d'attention de l'institution à l'égard de l'école maternelle. Il reste donc beaucoup à faire pour aider et accompagner les enseignants à transformer l'école maternelle. Ils y sont prêts et constituent un vrai potentiel qu'il ne faut pas gâcher.

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