Petite enfance » Jurisprudence

Le droit des enfants handicapés à la scolarisation (Analyse juridique - A. Legrand)

Paru dans Petite enfance, Scolaire le jeudi 30 juillet 2015.

La loi du 11 février 2005 a profondément changé les règles applicables à la scolarisation des enfants handicapés. Elle consacre définitivement leur droit à l’éducation, et repose sur l’idée que ce n’est plus au handicapé de s’adapter à l’institution scolaire, mais à l’institution scolaire de s’adapter aux besoins des handicapés. C’est sur cette base que le juge administratif a admis, dès 2005, que l’Etat a l’obligation légale d’offrir aux enfants handicapés une prise en charge éducative au moins équivalente, compte tenu de leurs besoins propres, à celle dispensée aux enfants scolarisés en milieu ordinaire. Les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet de les priver de leur droit à l’éducation.

L’application concrète de ces principes se heurte cependant encore souvent à certaines difficultés, même si des progrès significatifs ont été enregistrés depuis 10 ans et les associations compétentes sont fréquemment amenées à dénoncer la lenteur des évolutions constatées. Dans huit jugements rendus le 15 juillet 2015, le Tribunal administratif de Paris vient de confirmer l’existence d’une responsabilité de l’Etat, lorsqu’il ne satisfait pas à son obligation. Il rappelle que le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique ; cette prise en charge peut être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, mais, pour répondre aux exigences légales, elle doit être effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à l’état et à l’âge de la personne concernée.

Les conditions d'engagement de l'Etat

Le tribunal rejette une des requêtes présentées, mais dans les sept autres cas, il accorde une indemnisation aux parents requérants. Ces jugements n’apportent pas de nouveautés sur les principes dégagés par la jurisprudence antérieure. Leur intérêt vient pour l’essentiel du caractère fouillé et détaillé de l’examen que le tribunal fait des différents moyens invoqués par les requérants et la manière dont il précise les conditions de l’engagement de la responsabilité de l’Etat.

Les cas se présentaient dans des conditions très semblables : les enfants, autistes, avaient d’abord été scolarisés en milieu ordinaire, dans la plupart des cas en école maternelle avec l’assistance d’un auxiliaire de vie scolaire et parfois un accueil dans un SESSAD ou un centre d’accueil thérapeutique ; dans un cas, cette scolarisation s’était poursuivie, à l’école primaire puis en collège, jusqu’à l’âge de seize ans. Les parents dénonçaient généralement le fait que la prise en charge n’y avait pas été adaptée à la situation de leur enfant. Ils soulignaient tantôt que la scolarisation n’avait été réelle que pendant le temps de présence de l’AVS, tantôt que celle-ci n’était pas formée à la nature du handicap, tantôt le fait que seul un accueil en établissement spécialisé eût été adéquat et que la scolarisation en milieu ordinaire ne répondait pas aux besoins de l’enfant. Dans la très grande majorité des jugements, le tribunal va rejeter cet argument. Il appartenait aux parents, s’ils estimaient que tel était le cas, de contester la décision d’orientation prise par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) devant la juridiction technique du contentieux de la sécurité sociale : or les parents ne faisaient état d’aucune démarche en ce sens. Par exemple, dans un des jugements, il est relevé qu’un enfant autiste avait été scolarisé en classe d’intégration scolaire (CLIS), en milieu ordinaire : les parents estimaient que cette scolarisation n’était pas adaptée, faute d’offrir une prise en charge pluridisciplinaire. Mais le tribunal refuse d’engager la responsabilité de l’Etat, dans la mesure où les parents n’établissent, voire n’allèguent même pas que la CDAPH aurait prononcé une orientation dans un autre type d’établissement.

C’est d’ailleurs sur ce fondement qu’a été prononcé le seul cas de rejet de la demande d’indemnisation. L’enfant avait été scolarisé en milieu ordinaire jusqu’à seize ans, en CLIS, puis en unité pédagogique d’intégration. Il avait ensuite été orienté vers une section d’initiation et de formation professionnelle dans un institut médico-éducatif. La mère faisait valoir que cette prise en charge était inadaptée, mais elle n’avait pas contesté la décision d’orientation de la CDAPH devant la juridiction technique du contentieux de la sécurité sociale. De même, elle ne faisait état d’aucune démarche les années suivantes pour pallier l’absence totale de prise en charge de son fils jusqu’à sa majorité. Le tribunal refuse donc d’engager la responsabilité de l’Etat.

La responsabilité de l’Etat, souligne le tribunal, ne peut être engagée que si un enfant autiste ne peut être accueilli dans une des structures désignées par la CDAPH en raison d’un manque de places disponibles. C’est pourquoi Il donnera raison sur ce point aux requérants dans un seul des huit jugements prononcés ; l’enfant avait été placé à temps partiel en école maternelle par décision de la CDAPH. Celle-ci avait prescrit d’une part l’aide d’un AVS pendant douze heures par semaine, d’autre part un accueil concomitant par un service du SESSAD. Or, d’une part, il n’avait été scolarisé en maternelle avec un AVS que deux demi-journées par semaine, cette durée ayant encore été réduite en raison des absences répétées de l’AVS. La scolarisation pour une durée inférieure à celle préconisée par la CDAPH révélait une carence dans l’organisation du service public de l’éducation et engageait la responsabilité de l’Etat.

Les parents devaient renouveler leur démarche auprès de la CDAPH

A la suite de leur brève scolarisation ordinaire, les enfants concernés ont été confiés par les CDAPH compétentes, à d’autres structures à caractère médico-social. Dans un premier cas, l’enfant, pris en charge par un hôpital de jour et par un SESSAD. Mais l’intervention du SESSAD n’avait qu’un caractère complémentaire et ne constituait donc pas un accueil conforme aux exigences légales. Le tribunal en déduit que ces insuffisances constituaient une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Mais cette position ne valait que pour la durée de l’année scolaire. Faute d’avoir renouvelé leurs démarches auprès de la CDAPH, les parents se voient refuser la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat pour les années ultérieures. Le tribunal rappelle en effet que c’est à eux qu’il appartient de demander l’élaboration et l’évaluation du projet personnalisé de scolarisation et que le rôle des instances administratives compétentes est simplement de les accompagner dans cette démarche et non de la faire à leur place.

En revanche, dit un second jugement, lorsque les parents ont entamé des démarches auprès de plusieurs instituts médico-éducatifs, parmi lesquels figurent ceux désignés par la CDAPH, et qu’ils se sont vu refuser l’accueil faute de places disponibles, les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’Etat sont réunies. Il en va de même, ajoutent d’autres jugements, lorsque la prise en charge dans un établissement désigné n’a pu être que partielle, ou lorsque l’enfant n’a pu faire l’objet que d’une orientation subsidiaire vers un accueil a minima, prononcée par la CDAPH pour pallier l’impossibilité de trouver une solution adaptée en raison du manque de places dans les établissements pertinents. Enfin, la désignation, plusieurs fois réitérée par une CDAPH, d’établissements situés en Belgique, pour une enfant dont les parents habitent la région parisienne, traduit la prise de conscience d’un manque de place dans les structures adaptées en France et révèle une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires. Le même raisonnement a été appliqué à une dernière hypothèse où, faute d’avoir pu trouver une solution d’accueil dans les établissements spécialisés en France, la famille avait dû se résoudre à trouver elle-même une solution en Belgique. C’est d’ailleurs dans ces derniers cas que l’indemnité accordée a été la plus élevée (40 000 et 43 500 euros), compte tenu de l’importance du préjudice moral lié à l’éloignement de la famille.

Dans la grande majorité de ces cas, les familles ont obtenu une indemnisation. En revanche, elles n’ont pas nécessairement trouvé une solution concrète à leur problème d’accueil, le tribunal n’ayant pas compétence pour se substituer à l’administration sur ce point. Nous sommes donc dans une de ces situations où une obligation de faire finit par se traduire en simple obligation de payer. C’est une limite non négligeable à la volonté émise par le législateur.

André Legrand

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