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Compétences et compétences clés : deux notions qui posent des problèmes aux entreprises (étude)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le jeudi 19 février 2015.

"Au terme de cette étude, il apparaît clairement que la notion de compétence clé ne va pas sans poser de problème, tant d’un point de vue théorique que sur le plan de son opérationnalisation dans les entreprises." Ainsi débute la conclusion de l’étude menée par le cabinet Sémaphores à la demande de la DGSCO (direction générale de l’enseignement scolaire, Education nationale) et publiée dans "CPC études". Les auteurs analysent les différentes terminologies et définitions des "compétences clés" et étudient la prise en compte de ces compétences clés dans les pratiques de recrutement et de promotion de deux branches professionnelles : le commerce et distribution et la restauration collective. Elle s’appuie sur une série d’entretiens avec les managers ou responsables des ressources humaines d’une vingtaine d’entreprises, complétée par une enquête Internet auprès d’entreprises de ces deux branches.

Pour les auteurs de l’étude, la multiplicité des définitions de la notion de compétence clé en fait un concept flou au même titre que celui de compétence auquel il est lié. Parfois, il est assimilé au concept de compétence transversale. D’autres fois, il est envisagé comme un niveau minimum de compétences à détenir, renvoyant à la notion anglo-saxonne de standard. Parfois encore, il est assimilé à la notion de compétences de base sur lesquelles on s’appuie pour aller plus loin. Par ailleurs, les nombreuses tentatives d’opérationnalisation, notamment à travers l’élaboration de référentiels, n’ont pas permis de donner plus de clarté à ce concept de compétence-clé. L’hétérogénéité des contenus montre d'ailleurs une très grande difficulté opérationnelle. Ces différents référentiels ne sont d’ailleurs pas pensés en dynamique mais plutôt comme des descriptions de standards professionnels permettant l’évaluation des compétences d’un individu selon une modalité binaire (détenues/non détenues). Surtout, ces référentiels font l’impasse sur les processus en jeu dans la mobilisation et la construction des compétences et ne pensent pas la compétence comme triplement orientée : vers l’objet de l’activité, vers soi et vers autrui. Le nouveau référentiel Socle commun de connaissances et de compétences professionnelles (S3CP) adopté par les partenaires sociaux en mai dernier ne vient pas clarifier le paysage. Même les productions qui semblent plus abouties (OCDE ou, en France, agence nationale de lutte contre l’illettrisme) sont loin de s’avérer facilement utilisables. Enfin, il y a beaucoup de difficultés à positionner les notions de compétences et de compétences clés au regard des savoirs ou des connaissances. Tantôt les connaissances ou les savoirs sont considérés comme faisant partie intégrante des compétences ou tantôt considérés indépendamment.

Ce cumul de difficultés n’est pas étranger au fait que les pratiques de terrain s’inscrivent, en grande partie, hors de toute référence explicite à la notion de compétence clé. C’est ce que montre l’étude qui évoque une explication complémentaire pour expliquer les raisons de cette situation. À savoir que les compétences clés sont posées en termes très généraux comme la trilogie lire, écrire et compter avancée comme compétence de base. De fait, cela n’a aucune valeur opérationnelle tant qu’on ne définit pas avec suffisamment de précision quels sont les attendus au regard d’une classe de tâches et de situations, elles-mêmes explicitées très précisément. Ainsi la compétence "lire" n’a pas grande signification tant qu’on ne précise pas quel type de texte et dans quel type de situation : lire le mode d’emploi d’une machine à café n’a pas grand-chose à voir avec lire un extrait de l’Émile de Rousseau en public. Quant à la compétence clé "lire", elle ne peut correspondre qu’à la formulation d’un attendu précis, en termes de performance et/ou de stratégie dans l’une ou l’autre de ces situations. On peut même noter que la dernière situation ne relève certainement pas d’une compétence qu’on pourrait qualifier de compétence clé bien que relevant de la compétence "lire". À l’inverse, plus la précision est grande dans la définition de la classe de tâches et de situations et plus on risque de s’éloigner d’une compétence clé, envisagée comme mobilisable dans de très nombreuses circonstances ou comme socle indispensable à la construction d’autres compétences.

Des pratiques judicieuses

Dès lors, on comprend que, sur le terrain, une définition large ne présente pas beaucoup d’intérêt au regard de la spécificité des tâches à traiter, y compris lorsqu’il s’agit de personnels polyvalents. A contrario, il n’y a pas d’intérêt à évoquer la notion de compétence clé si on définit des compétences liées très spécifiquement à une classe restreinte de tâches. Il n’est donc pas étonnant de ne pas voir apparaître cette notion dans la description des pratiques d’entreprises relatives au recrutement, à la formation, à la promotion et à la pérennisation des emplois.

Néanmoins, les investigations conduites dans le cadre de cette étude sont loin de se limiter à dresser un constat négatif. L’analyse des réponses des différents interlocuteurs rencontrés met en évidence des pratiques qui, bien que largement de nature empirique, se révèlent, de fait, assez judicieuses pour éviter les difficultés mentionnées précédemment et pour répondre aux contraintes rencontrées.

L'expérience vaut compétence

Ainsi, l’étude fait apparaître qu’en dépit d’une absence de référence explicite aux notions de compétence et de compétence clé, ces pratiques peuvent être interprétées positivement dans le cadre d’une définition de la compétence en termes d’organisation de l’activité pour une classe de situations. Cette entrée par les situations et les tâches qui leur sont attachées offre la possibilité d’aborder les compétences de façon implicite à travers, par exemple, l’expérience. Les entreprises considèrent alors qu’avoir su traiter un certain nombre de situations professionnelles ou personnelles a permis à la personne de construire les compétences requises a priori, pour ces situations et pour toute situation similaire ou appartenant à la même classe.

Dans cette logique, les compétences, dont les compétences clés, n’ont donc pas besoin d’être explicitées en tant que telles puisqu’une appréciation globale de l’expérience suffit à en inférer la présence. De plus, elles peuvent être ajustées par des interventions de type adaptation au poste ou tutorat pour étendre ces classes de situations à d’autres qu’elles peuvent intégrer. En d’autres termes, l’expérience des tâches et des situations relatives à une classe donnée constitue le premier critère, susceptible de déboucher sur une formation contextuelle et pris en compte en matière de promotion et de pérennisation des emplois.

Le rapport à autrui et le rapport à soi

Toutefois et en dépit de son importance, ce critère n’est pas le seul à être avancé par les interlocuteurs dans l’appréhension des compétences des personnes peu qualifiées qu’ils emploient. Ils mentionnent effectivement d’autres critères tels que ponctualité, motivation, faculté d’intégration à l’équipe, potentiel de la personne, critères que les auteurs de l’étude ont interprétés comme relevant du rapport à autrui et du rapport à soi. Autrement dit, sur le terrain, on ne considère pas la compétence uniquement en termes de rapport aux tâches et situations mais également en termes de rapport à autrui et de rapport à soi, même si cela n’est pas clairement exprimé en ces termes.

Plutôt que de chercher à induire l’utilisation de la notion de compétence clé sur le terrain des entreprises et des acteurs de la formation avec toutes les difficultés repérées, les auteurs préconisent de s’inscrire dans une logique selon laquelle il est préférable, d’une part, de prendre la mesure de la valeur certaine des pratiques engagées sur le terrain, à partir d’un modèle alternatif de la compétence et des compétences clés privilégiant les classes de situations et les trois volets de la compétence comme rapport aux tâches, rapport à autrui et rapport à soi ; et, d’autre part, d’accompagner ces pratiques afin de les systématiser et de les optimiser.

Le compte personnel de formation

L’étude rappelle que le compte personnel de formation (CPF) sera mobilisable par les personnes pour l’acquisition des compétences clés. Les formations éligibles au CPF sont le socle de connaissances et de compétences, l’accompagnement à la validation des acquis de l’expérience (VAE) et les formations définies sur des listes établies par les partenaires sociaux. Pour les compétences clés, ce renvoi à un socle commun de connaissances et de compétences avec sa logique binaire compétence détenue/non détenue ne laisse pas bien augurer d’un re-questionnement et d’une ré-articulation de la notion de compétences sur ses trois volets à nouveau réaffirmés : rapport aux tâches, rapport à autrui et rapport à soi.

"Compétences clés : définitions, usages et formalisation", numéro 2014-4 de la revue CPC études

Arnold Bac

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