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A la gare de Marseille, les difficultés des éducateurs de rue face à la précarité croissante des jeunes démunis (ouvrage)

Paru dans Périscolaire, Justice le lundi 21 novembre 2022.

“Démunis“ est un ouvrage polysémique où le monde des jeunes désoeuvrés trouve reflet dans l'action des éducateurs qui tentent de leur venir en aide.

Pendant deux ans, Véronique Le Goaziou a suivi des travailleurs sociaux, notamment à la Gare Saint-Charles à Marseille, appelés éducateurs de prévention spécialisée ou encore éducateurs de rue. Ces jeunes en situation de précarité qu'ils rencontrent, dont ils prennent soin, “ont leur vie à la gare“. Ils ont entre 11 et 21 ans, comme par exemple “une fille de 13 ans, placée dès l'age de 9 mois et qui a subi des violences dans sa famille d'accueil“, ou bien “un garçon dont le père est décédé et qui n'a plus de contacts avec sa mère, hébergé par une tante puis mis à la porte“.

La sociologue explique de ces jeunes que “leur présence à la gare a de l'utilité et du sens, parce que c'est un lieu de ressources dont ils peuvent profiter, et qu'ils y trouvent des satisfactions qu'on ne peut négliger“ à savoir une certaine protection, la soustraction à toutes sortes de contrôle et de surveillance, mais aussi la création de liens et de nouvelles expériences.

Eux-même régulièrement présents, les éducateurs de rue de la Gare Saint-Charles offrent un espace de réconfort ou de première protection. Cependant, “ce qui est perçu comme risqué par les éducateurs ne l'est pas toujours pour les jeunes“. D'ailleurs, raconte l'auteure, “si certaines jeunes filles de la gare semblent animées d'un désir de liberté, on observe cependant qu'en guise de vie différente, c'est plutôt la galère qui les attend, avec son lot de danger : ces adolescentes ou très jeunes femmes risquent d'être abusées sur plusieurs plans.“

Il s'avère surtout que “la précarité et l'errance sont loin d'être des thématiques nouvelles pour les éducateurs d'aujourd'hui“, relate Véronique Le Goaziou avec les premières initiatives de la prévention spécialisée qui “sont apparues en France après la 2nde guerre mondiale, auprès de groupes d'enfants ou d'adolescents livrés à eux-mêmes et vivant dans l'habitat délabré de vieux quartiers urbains“.

Dans ces cas-là, la relation avec ces jeunes “doit s'élaborer prudemment, car ils ont souvent connu plusieurs prises en charge par des institutions et des professionnels différents. Lorsqu'elles n'ont pas abouti à des situations satisfaisantes, elles sont vécues comme des échecs. La protection sociale et les mesures éducatives à destination de ces publics peuvent parfois être brutales et fragiliser la confiance qu'ils ont dans les adultes, comme l'équipe de maraude en fait l'expérience quotidiennement. Elle s'efforce alors de ne pas réitérer l'insuccès, d'atténuer la méfiance et de vaincre le sentiment d'abandon de ces mineurs“.

Face à la prise d'alcool ou de drogue, à la morosité, aux règlements de compte ou à l'agressivité, “l'équipe doit savoir écouter, apaiser, répondre et ne pas se laisser distancer pour maintenir le lien“. Chaque jour, ils demandent à ces jeunes “s'ils vont bien, s'ils n'ont pas de problèmes de santé, s'ils sont nourris et quand arrive le milieu de l'après-midi, où ils vont passer la soirée et la nuit“ mais souvent, ils “ne peuvent guère aller plus loin qu'une intervention d'urgence afin de satisfaire les besoins élémentaires et de rendre l'errance ou la précarité moins éprouvantes“.

Est ainsi décrite une action à “visée compensatoire d'un équilibre rompu“, qui passe entre autre par un “rôle d'accélérateur“ : “Le téléphone vissé à l'oreille, les éducateurs appellent pour chercher des places de mise à l'abri, en utilisant les circuits officiels ou leurs propres réseaux.“

Véronique Le Goaziou “admire la hardiesse et la ténacité dont ils font preuve“, mais elle déplore “qu'ils en soient réduits à de tels procédés, qui semblent en outre rarement couronnés de succès, tout particulièrement pour les mineurs en errance“, d'autant plus que “la figure du mineur à la rue, en principe chez ses parents ou dans un foyer, n'a pas été pensée“.

Si les éducateurs de rue “peuvent être gagnés par la lassitude et le découragement“ face au manque de moyens, à l'empêchement d'agir ou au déficit de coordination qu'ils rencontrent, malgré tout ils “ne se dérobent pas. Ils n'attendent pas que les conditions soient réunies pour agir, car en vérité elles ne le sont jamais, mais ils agissent à partir de leur expérience, des bonnes pratiques et des dispositifs existants“. En définitive, cette action de travailleurs de l'ombre qui “pratiquent une démocratie en acte“ peut aussi se lire “comme une traduction concrète du principe d'égalité, une incarnation de la devise de notre République“.

Pourtant les dispositifs d'accueil, constate au final la sociologue, “font face à des demandes de plus en plus nombreuses, et le territoire de Marseille est submergé par l'afflux de personnes dans le besoin“, tandis que services et professionnels, engorgés et débordés, “ne cessent de tirer la sonnette d'alarme pour signaler leur difficultés“.

Démunis, Véronique Le Goaziou, Presse SciencesPo, 204p., 19€.

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