Les réseaux sociaux et la sécession de nombreux jeunes avec les consensus scientifique et médiatique (IFOP / Fondation Jean-Jaurès)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 13 janvier 2023.
29 % des jeunes de 18 à 24 ans qui utilisent TikTok de manière pluriquotidienne croient à la thèse selon laquelle “l’assaut du Capitole en janvier 2021 a été mis en scène pour accuser les partisans de Donald Trump“, contre 19 % chez les non-utilisateurs, selon un sondage IFOP destiné à mesurer la porosité des 11-24 ans aux contre-vérités scientifiques au regard de leur usage des réseaux sociaux.
Dans son analyse, le directeur du pôle politique de l'IFOP évoque la “sécession“ d’une fraction importante de la jeunesse avec les consensus médiatique et scientifique. Par exemple, la théorie du Moon Hoax semble avoir une audience de plus en plus forte chez les jeunes, avec 20 % d'entre eux qui estiment que “les Américains ne sont jamais allés sur la Lune“, une proportion en nette hausse (+5 points depuis 2017) et largement supérieure à celle observée chez les seniors (6 %). De même, il décrit une “rupture générationnelle“ autour de la question de l’évolutionnisme qui est désormais contesté par plus d’un jeune sur quatre (27 %, contre 18 % chez les seniors).
François Kraus explique que les adeptes des thèses conspirationnistes et plus généralement des croyances irrationnelles sont particulièrement nombreux chez les jeunes (69 % croient à au moins l'une d'entre elles), avec trois grandes variables pouvant jouer dans ce phénomène, l’effet de conditions sociales défavorables, le degré d’importance donnée à la religion pour expliquer le monde, l'utilisation très régulière des réseaux sociaux.
“Il s’agit à la fois, poursuit l'auteur, d’un effet de génération et d’un effet d’âge, les désordres informationnels de l’ère Internet venant sans doute accentuer la perméabilité traditionnelle des jeunes générations à ces croyances surnaturelles“. Dans la pratique, 64 % des jeunes utilisent aujourd'hui Internet comme source principale d’information, soit trois fois plus qu’en 2009. “Or, déclare François Kraus le risque dans la pratique informative sur les réseaux sociaux est le ‘biais de confirmation‘ des croyances, les algorithmes mettant en avant des publications et du contenu qui vont plaire à l’utilisateur et qui correspondent à ce qu’il apprécie, ne remettant donc pas en cause ce qu’il pense.“
“L’aura suffit à se mettre en position de sachant“. A cela s'ajoutent les influenceurs, “canal privilégié pour faire circuler des informations, qu’elles soient vraies ou fausses“. 41 % des jeunes qui utilisent TikTok comme un moteur de recherche adhèrent à l’affirmation selon laquelle un influenceur qui a un nombre important d’abonnés a tendance à être une source fiable.Et ce sont les jeunes les plus modestes (les ouvriers à 52 %, les plus pauvres à 44 %) qui prennent le plus en compte ce critère pour juger de la crédibilité des influenceurs et créateurs de contenus.
Dès lors, un tiers des jeunes affirment avoir confiance dans ces réseaux sociaux de partage de photos et de vidéos, d'ailleurs “force est de constater que le lien entre cette confiance et la croyance en des éléments infondés est réel“ Par exemple, 37 % des jeunes qui adhérent à au moins une contre-vérité scientifique leur font confiance. Ainsi “les réseaux sociaux, largement porteurs de fake news apparaissent donc au cœur des raisons expliquant l’adhésion à des croyances irrationnelles et à des idées non scientifiques du monde“, conclut le politologue.
Cette étude montre, selon le directeur de Conspiracy Watch Rudy Reichstadt, que les personnes “socialisées politiquement au cours des deux dernières décennies sont nettement plus perméables au complotisme (et en général aux pseudo-sciences) que les générations qui les ont précédées“, avec le danger à moyen terme que notre société ne devienne par “remplacement générationnel“ plus perméable à l’imaginaire complotiste et à l’irrationnel qu’aujourd’hui – avec toutes les régressions potentielles que cela implique (extrémisme, obscurantisme…).
Le sondage ici