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La laïcité, une question “imposée de l’extérieur“ pour les professionnels de l'éducation populaire (INJEP)

Paru dans Périscolaire le mardi 25 avril 2023.

Aux yeux des professionnel.le.s du secteur, la “laïcité“ entre aujourd’hui en tension avec les “valeurs de l’éducation populaire“, estime l'INJEP après observation de la question “telle qu’elle se pense, se raconte et se pratique“ concrètement.

Impact

A partir de son histoire, de son évolution dans le champ de l'éducation populaire, les chercheurs de l'institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire relatent l'établissement de laïcités “juridique“, “narrative“ ou encore celle menant à une intégration dans le champ des politiques publiques (via les formations “Valeurs de la République et laïcité“ ou “Actions éducatives et principes républicains“), estimant que les mondes associatifs de l’éducation populaire ont “très directement été impactés par les controverses publiques et les évolutions législatives récentes au sujet de la laïcité“.

En effet, si l' “ouverture à tou.te.s“ et une “émancipation par l’éducation“ sont décrits “comme le cœur et le sens de leur engagement“ par les professionnels de région parisienne recontrés, ils se disent confrontés à une situation “rendant complexe la mise en œuvre de ces deux grands principes“. Pourquoi ? Car la laïcité “leur semble une question imposée de l’extérieur, particulièrement sensible parce qu’elle fait peser un risque de stigmatisation et de discrimination sur les musulman.e.s, et révèle des inégalités sociales et ethnoraciales plus larges au sein de la société française en général, et du monde associatif en particulier“.

Est ainsi évoquée “la structuration du champ de l’éducation populaire et la distance sociale et symbolique qui sépare souvent, dans les associations, d’un côté les publics et les animateur·trice·s (lesquel·le·s font l’expérience de la minoration sociale et ethnoraciale), et de l’autre côté les cadres et les bénévoles administrateur·trice·s (qui sont plus souvent originaires des classes moyennes voire supérieures, et qui ne font pas l’expérience de la minoration ethnoraciale).“

Autonomie et dilemmes

D'où l'importance de “préserver l’autonomie de l’éducation populaire pour se protéger de lectures imposées de la laïcité (par l’État, les élu.e.s locaux, parfois les bénévoles), et pour défendre ces deux principes décrits comme fondamentaux“, poursuit l'INJEP, une “aspiration à l’autonomie“ qui de plus conduit les professionnels “à souhaiter une régulation des questions de laïcité non pas par le haut ou l’extérieur, mais au sein même des structures associatives.“ Cependant, appliquer concrètement les principes d’inclusion et d’émancipation “s’avère plus complexe qu’il n’y paraît, et les entretiens révèlent des ‘dilemmes professionnels‘, des ‘épreuves (émotionnelles, organisationnelles, politico-éthiques)‘ et des conflictualités concernant l’acceptation -ou non- des ‘signes d’islam‘ au sein des structures associatives.“

En outre, “si la pratique religieuse des publics fait l’objet d’une acceptation relativement partagée (par exemple quand il s’agit d’adapter l’agenda associatif à la période du ramadan, ou encore de proposer des repas sans porc lors d’événements festifs), les signes d’islam sont bien plus souvent et fortement perçus comme problématiques lorsqu’ils proviennent des professionnel.le.s, en particulier des salariées portant ou souhaitant porter le ‘voile‘. Il semble que les discussions en conseil d’administration, au bureau, ou bien plus étroitement entre la direction et le ou la professionnel.le concerné.e donnent généralement lieu à des arrangements“. Seulement, “des pratiques de discrimination perçues comme plus ou moins légitimes sont rapportées“, ainsi “des seuils d’acceptabilité -et de non-acceptabilité- se dessinent alors, et les personnes concernées, en particulier les professionnelles ‘voilées ‘, sont invitées à (r)assurer les directions et les conseils d’administration de leur posture ‘éclairée‘, ‘distanciée‘, ‘éducative‘, vis-à-vis de leurs propres croyances et pratiques religieuses“.

De leur côté, les personnes musulmanes et (susceptibles d’être) perçues comme telles “ne semblent pas toujours plus ouvertes aux signes d’islam“ et, comme leurs collègues, “leurs pratiques peuvent parfois relever de la discrimination pour motif religieux“, un phénomène, qui se comprend sous le prisme de leur quotidien professionnel, “marqué par des expériences de minoration religieuse et ethnoraciale qui les amène parfois à être soupçonné.e.s de ‘préférence communautaire‘, ou plus largement d’illégitimité, voire de déloyauté. En cela, les pratiques consistant à refuser l’embauche à ‘une femme voilée‘, par exemple, peuvent être analysées comme une manière de ‘composer avec le racisme‘, et témoignent d’un très fort contrôle de soi des personnes minorisées.“

Formations

L'autre point de l'étude porte sur les formations à la laïcité et leurs écueils. Celles-ci peuvent servir de raccord entre des pratiques liées à la laïcité et au fait religieux dans les mondes de l’éducation populaire, cependant, “ce travail de régulation est loin d’aller de soi“ constate l'INJEP, et les formations observées, “en accordant une place importante à la parole des stagiaires, constituent des lieux d’expression de ce qui leur ‘pose problème‘ concernant les religions en général, et surtout l’islam en particulier.“

Et pour une partie des stagiaires, “la formation amène certes à une prise de conscience de l’illégalité de leurs pratiques (notamment l’interdiction du port du voile à des salariées), mais ne contribue pas à changer leur regard sur ces pratiques, qu’ils et elles continuent à évaluer comme légitimes compte tenu de leur propre conception de la laïcité et des faits religieux, et de leur propre diagnostic sur le supposé ‘problème musulman‘.“

D'ailleurs, notent les chercheurs, dans les formations Valeurs de la république et laïcité, “l’islam et le voile prennent une place centrale sans qu’aucun apport de cours (en histoire, en sociologie ou en science politique par exemple) ne permette de comprendre pourquoi.“

Le rapport ici

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