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"L’amitié ne tisse pas sa toile sur le web" (Observatoire des pratiques numériques des adolescents - Ceméa)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le dimanche 08 mars 2020.

Les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation actives, les Ceméa, qui sont particulièrement actifs en faveur de l’appropriation et la maîtrise des technologies de l’information et pour les mettre au service de tous ont récemment publié sur le site Yakamedia (ici) le 5è rapport de l’Observatoire des pratiques numériques des adolescents intitulé "Les relations affectives des adolescents et les réseaux socio-numériques". L'enquête repose sur l’analyse d’entretiens passés en mai 2019 en Normandie. Les deux chercheures, Laurence Corroy (Paris 3) et Sophie Jehel (Paris 8) ont rencontré 53 jeunes, filles et garçons, par groupe de 3 à 6,inscrits en classe de première, dans des filières générales, technologiques ou professionnelles.

Au moment de l’enquête, Snapchat et Instagram avaient pris le pas pour ces adolescents sur les réseaux numériques déjà plus traditionnels (Facebook,  WhatsApp, …) ;  des applications dont les inventeurs n’ont pas  caché pas leur volonté de développer des addictions  à la connexion  "à cet âge où l’amitié est très importante et où les susceptibilités sont fortes".

Les lycéens entrent avec les "flammes" de Snapchat, dans un challenge : avoir le plus "d’amitiés possibles", alors qu'une peur s’instille, celle de "faire de la peine" et de "se brouiller avec des amis". L’interaction de la vie en ligne et des relations affectives fortes fait que ce qu’ils se disent, même entre très proches, est considéré par eux comme "un jeu" car tout ce qui se dit "peut se retourner contre eux" : "Quand je dis quelque chose d’importance alors on va se voir en face à face" pour en quelque sorte débriefer, dit l'un d'eux. Sur ces deux réseaux, les adolescents développent des techniques de prudence et ont relativement conscience de ce qu’ils publient, du moins ont-ils l’impression de le savoir, notent les deux auteures qui attirent l'attention sur plusieurs "points de vigilance".

Pour éviter de blesser ses amis ou de l’être à son tour, il faut être toujours en action.

Les flammes constituent une sorte de palmarès de notoriété qui s’instaure sans que les jeunes internautes l’aient demandé. Il les oblige à s'envoyer coûte que coûte et tous les jours des photos, qu’elles aient du sens ou non, uniquement pour continuer de marquer l’amitié d’un trophée ; de plus, il faut réagir immédiatement lorsque les amis postent des messages ou des photos dans la mesure où la vitesse de réaction de la part du destinataire semble être prise comme la jauge de son degré d’amicalité. Pour éviter de blesser ses amis ou de l’être à son tour, il faut donc être toujours en action.

Autre point de vigilance, il faut être beau, à l’instar des images de papier glacé des magazines, puisque ces réseaux fortifient ou abiment un narcissisme fragile. Et, "au jeu de l’exposition de soi, les règles sont bien plus strictes pour les filles que pour les garçons. Elles peuvent rapidement perdre leur réputation. Elles l’auront 'cherché'. Les filles en ont d’ailleurs bien conscience, car elles ont en tête, comme les garçons, des cas de cyberharcèlement survenus au collège. Elles sont donc davantage obligées d’être dans le contrôle." Les deux auteures évoquent aussi le "ghosting", qui consiste à rayer de ses contacts numériques, sans prévenir, des amis avec lesquels il y a fâcherie, ou pire, son ou sa petite amie, signifiant ainsi par le bannissement la fin d’une relation amoureuse. Enfin dernier point de vigilance, le cyberharcèlement ; il a été régulièrement cité. Si le danger semble plus grand au collège, il n’a pas totalement disparu au lycée.

L'amitié instrumentalisée

Des temps de discussion sont donc nécessaires pour les auteures de l’étude qui notent : "Loin d’être d’une totale naïveté, ils ont néanmoins besoin de ces temps de partage et de réflexion pour pouvoir travailler sereinement à une distanciation vis-à-vis des plateformes, mais aussi plus largement sur les valeurs qui sont mobilisées voire instrumentalisées par les plateformes, amitié, convivialité, solidarité, mouvements d’humeur (...). Cela peut se faire dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information, parce que c’est avec ces outils que surgissent les tensions autour de ces valeurs, mais cela peut aussi être abordé dans d’autres temps éducatifs."

Christian Gautellier (Ceméa) fait remarquer que "les dispositifs des réseaux socionumériques favorisent des pratiques en conflit avec des valeurs qui sont au fondement du lien social : l’amitié, le respect de l’altérité, la protection de l’intimité, l’attention aux autres dans l’échange communicationnel. Ces grandes notions philosophiques relèvent du champ éducatif et débordent largement des compétences instrumentales dans lesquelles on ne doit pas enfermer l’éducation aux médias en contexte numérique."

Michel Delachair

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