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Prévention spécialisée : une crise majeure alors que les besoins augmentent et évoluent (rapport parlementaire)

Paru dans Périscolaire, Justice le lundi 13 février 2017.

"La prévention spécialisée est une mission éducative destinée à permettre aux jeunes en voie de marginalisation de rompre avec l’isolement et de retisser des liens avec le reste de la société", mais son "public" connaît une transformation très profonde : "vivant une remise en cause des liens de sociabilité traditionnels que sont la famille, l’école et le travail, les mineurs de ces quartiers construisent des sous-cultures d’opposition difficiles à endiguer, comme les phénomènes de bandes violentes, parfois féminines, ou un communautarisme religieux ou culturel." Le rapport de la mission d'information sur la prévention spécialisée, adopté à l'unanimité par la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, vient d'être publié.

Sa rapporteure, Kheira Bouziane-Laroussi (PS) estime notamment que "ces évolutions mettent à l’épreuve les éducateurs de rue" qui "doivent de plus en plus souvent se confronter directement à des pratiques et à des discours violents (...), extrémistes ou complotistes (...) La montée du radicalisme (...) ne se limite pas aux quartiers urbains les plus défavorisés. Ainsi, lors d’une table ronde organisée par la mission, le président de l’APSN (association de prévention spécialisée du Nord) a souligné que, parmi les individus en voie de radicalisation identifiés par son association, la moitié était des filles, et parmi celles-ci la moitié appartenait à un milieu favorisé". De plus, "certaines associations ont également attiré l’attention de la rapporteure sur l’importance des problèmes de santé, notamment mentale, au sein de la jeunesse, parfois dus à la consommation de drogues".

L'anonymat du jeune

"Convaincue de l’utilité de cette politique en faveur des jeunes", la mission d’information souligne les spécificités du travail des équipes de prévention spécialisée. Elles ont pour principal terrain d’intervention la rue et elles ont pour principe "la libre adhésion", ce qui signifie que "le jeune doit être acteur de la démarche engagée avec l’éducateur de rue" qu'il est libre de "refuser à tout moment". Dès lors, leur action se situe hors de tout mandat nominatif. "Aucune autorité administrative ou judiciaire ne mandate les éducateurs pour accomplir une démarche auprès d’un jeune identifié, ce qui distingue les interventions de prévention spécialisée de l’action éducative en milieu ouvert (AEMO)" et oblige au respect de l’anonymat du jeune.

Se pose donc le problème de l'évaluation d' "une politique menée sans contrepartie immédiate et dont les résultats ne sont visibles qu’à long terme", qui "n’entre pas dans le cadre conventionnel de l’aide sociale mais repose sur "la construction, parfois lente, d’une relation de confiance entre le jeune et les équipes de prévention spécialisée". D'ailleurs, "comment évaluer ce qui n’a pas eu lieu, ce qui a été évité" ?

"Une crise sans précédent" de son financement

La rapporteure estime que la prévention spécialisée "connaît depuis quelques années un malaise" d'abord dû à "une crise sans précédent" de son financement au point qu'elle "diminue dans de nombreux départements indépendamment des besoins des publics et (qu') elle a disparu dans d’autres à la suite de choix politiques délibérés" au point que la mission est amenée "à s’interroger sur le caractère facultatif de la compétence exercée par les départements (...) Cette baisse – voire cette suppression – des moyens de la prévention spécialisée est d’autant plus inquiétante que les difficultés croissantes rencontrées par la jeunesse nécessiteraient au contraire son renforcement."

Mais la mission identifie une autre cause de ce malaise: La loi NOTRe "pourrait être à l’origine de nouvelles difficultés de positionnement de la prévention spécialisée et remettre en cause ses missions" puisqu'elle prévoit un transfert de cette compétence "des départements vers les métropoles". Elle quitterait alors "le domaine de la protection de l’enfance pour rejoindre celui de la jeunesse en général et plus particulièrement celui de la politique de la ville et de la prévention de la délinquance". Or "la prévention spécialisée ne peut se limiter à la lutte contre la délinquance, pas plus que ses territoires d’intervention ne peuvent être réduits aux quartiers prioritaires de la politique de la ville". Pour la rapporteure, "les places respectives du département, de l’État et des communes méritent d’être réinterrogées", d'autant que "des besoins existent aussi en zone rurale, ainsi que dans les centres villes", "partout où se manifestent des risques d’inadaptation sociale".

Les établissements scolaires, la police

La mission souligne d'ailleurs l'intérêt du travail avec les établissements scolaires qui "apparaissent comme un lieu d’intervention incontournable pour la prévention spécialisée, dans la mesure où la grande majorité des jeunes suivis sont en situation de rupture ou de décrochage scolaire". Elle donne l'exemple de l'intervention d’une association de prévention spécialisée au collège de Joué-les-Tours dans le cadre de la réussite éducative.

Autres interlocuteurs, les services de police et de prévention de la délinquance, même s'il "existe une vieille garde (parfois chez de jeunes éducateurs) qui défend une prévention spécialisée 'pure', qui voudrait qu’on ne parle pas aux flics", comme le souligne François Chobeaux, du réseau national "Jeunes en errance" des CEMEA. Pour lui, "la prévention doit obligatoirement s’articuler avec les services en charge du social de droit commun et aussi de la tranquillité et de la sécurité publique", il s'agit de "trouver le bon positionnement par rapport aux politiques de sécurité", ajoute la rapporteure.

12 propositions

La mission estime d'ailleurs que, "de manière plus générale, les acteurs de la prévention spécialisée pâtissent d’un manque d’orientation et de cadrage" et elle souligne que "des réflexions sur la définition de cette politique ont été engagées par le ministère de la ville et le ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes". En attendant ses conclusions, elle fait douze propositions dont voici les principales

- Élaborer un guide national d’évaluation de la prévention spécialisée.

- Mettre en place, au sein du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), une commission permanente consacrée à la prévention spécialisée.

- Élaborer un texte réglementaire définissant les orientations doctrinales fondamentales et précisant le positionnement de la prévention spécialisée.

- Favoriser une contractualisation pluriannuelle avec l’ensemble des partenaires financeurs.

- Élaborer une convention cadre nationale entre le ministère de l’Éducation nationale et les acteurs de la prévention spécialisée.

- Mieux faire connaître l’initiative des "promeneurs du net" aux départements et aux structures de prévention spécialisée afin de généraliser le développement d’actions spécifiques sur internet.

- Répertorier les bonnes pratiques en matière de prévention de la radicalisation pour mieux les diffuser dans les territoires où la prévention spécialisée n’est pas encore sollicitée.

Le rapport ici

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