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Adolescents d'origine malienne séjournant "au pays" : une double stigmatisation, au Mali comme en France

Paru dans Périscolaire, Orientation le vendredi 04 mars 2016.

Comment des adolescents d'origine malienne vivent-ils un séjour visant à leur faire connaître le pays de leur parents ? C'est l'une des questions abordées par Lila Belkacem, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, dans un article paru dans le dernier numéro de la revue Agora débats/jeunesses (n° 72, 1/2016).

La chercheuse a été engagée comme animatrice de la colonie intitulée "Des racines pour ton avenir", organisée par des migrants vivant en région parisienne. Elle a observé trois moments ethnographiques : la préparation du voyage, le séjour au Mali (un mois et demi en été) et la cérémonie de restitution en présence du partenaire municipal. Elle précise d'emblée : "À la différence des séjours de rupture organisés dans le cadre de la protection de l’enfance ou du travail socio-éducatif institutionnel, la colonie 'Des racines pour ton avenir' est présentée comme un loisir initiatique. À ce titre, elle se déroule nécessairement dans le lieu pensé comme celui de 'l’origine' et se destine à des jeunes descendants de migrants qui ne sont pas identifiés comme 'en souffrance', 'en situation de maltraitance' ou 'en grande difficulté'."

"Un moment de requalification économique, sociale et symbolique"

Qui sont ces jeunes ? Le groupe se compose de 36 adolescents âgés de 12 à 16 ans, dont 24 filles. Leurs expériences scolaires sont diverses, allant du collège au lycée (général, technique et professionnel). Ils appartiennent aux catégories sociales populaires, mais avec des variations conséquentes : "alors que certains parents sont manœuvres ou agents de nettoyage, d’autres occupent des fonctions administratives plus qualifiées et moins touchées par la précarisation du travail." Quelques-uns ont déjà séjourné à plusieurs reprises au Mali, mais beaucoup s’y rendent pour la première fois et ne maîtrisent que peu la langue parlée par leur famille "au pays" (soninké ou bambara).

Au cours du séjour, ces jeunes disent prendre conscience des asymétries économiques entre eux et les "Maliens". "Ils vantent leur pouvoir d’achat et insistent tout particulièrement sur la liberté que cela procure pour sortir et se restaurer. Ils formulent également des jugements négatifs à l’égard des 'bledards', les décrivant parfois comme des personnes intéressées qui n’hésitent pas à voler les leurs, ou encore, à travers des propos misérabilistes, des 'pauvres gens' à qui l’on ne peut pas en vouloir du fait de leurs conditions de vie", relate Lila Belkacem. Elle souligne que ce séjour "constitue donc un moment de requalification économique, sociale et symbolique par rapport aux positions occupées ordinairement en région parisienne".

Des discours stigmatisants au Mali comme en France

Comment ces adolescents sont-ils perçus par les Maliens ? Le regard est souvent sévère : ils sont jugés prétentieux et leur présence agace. Par exemple, un homme décrit l’été "comme la période de 'l’invasion des Toubabs', des 'jeunes à problèmes', des 'bandits', des 'racailles', des 'sans-gêne', des 'mal-éduqués', des 'perdinté' (enfants perdus), des 'kakala' (filles débauchées), qui ne se donnent même pas la peine de parler soninké, investissent bruyamment les espaces publics, refusent de s’adapter à la vie et aux normes locales, ne savent rien faire, et ne sont donc d’aucune utilité sociale". Lila Belkacem note que cette situation "est d’autant plus mal perçue que l’argent en France semble plus facile à obtenir, que les descendants d’immigrants séjournant au Mali en reçoivent de leurs parents, et qu’ils devraient donc être en mesure de participer financièrement – à défaut d’apporter leur force de travail".

Mais en France également, ces adolescents font l'objet de discours stigmatisants les désignant comme des "personnes en difficulté" et attribuant ces difficultés "non pas tant à des conditions matérielles précaires ou des discriminations qu’à des lacunes éducatives, des manques en termes de capital humain, ou encore une coupure d’avec le pays d’origine". Lila Belkacem souligne : "Pris dans des logiques de représentation et dans des rapports de pouvoir asymétriques – notamment parce qu’ils ont besoin du soutien municipal et étatique –, les organisateurs du séjour reprennent à leur compte ces discours stigmatisants, faisant de la colonie un remède aux problèmes d’une jeunesse franco-malienne en difficulté". En conclusion, la chercheuse pointe "toute l’ambiguïté de la place des descendants d’immigrants, puisque les injonctions à l’intégration, dans les lieux d’émigration et d’immigration, cohabitent en permanence avec une double expulsion symbolique, d’ 'ici' comme de 'là-bas'."

La revue Agora débats/jeunesses n° 72, 1/2016 est consultable ici (accès payant à l'intégralité)

Diane Galbaud

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