Et maintenant ? La réponse de P. Watrelot (CRAP-Cahiers pédagogiques), inscrire la lutte contre les inégalités dans les missions des enseignants
Paru dans Scolaire le lundi 19 janvier 2015.
"Si j’étais fataliste, si je ne pensais pas que mon action peut faire changer (un peu) les choses, je ne serais pas enseignant !" C'est pourquoi Philippe Watrelot, professeur de SES et président du CRAP-Cahiers pédagogiques propose dans une longue tribune ses propositions "pour le jour d'après" et il propose d'abord de "s’interroger et essayer de comprendre les mécanismes qui conduisent un certain nombre d’élèves à (...) glorifier des assassins", voire à devenir eux-mêmes des meurtriers et à partir pour le “Jihad”.
Il faut d'abord, estime P. Watrelot, "agir sur les contenus" et sur la formation au jugement critique (voir aussi ToutEduc ici) : "Les dispositifs transdisciplinaires sont les plus propices à un travail de ce genre tels que l’histoire des arts. Le futur enseignement moral et civique peut aussi être l’occasion d’une réflexion et d’activités sur toutes ces questions. Tout comme l’éducation aux médias." La semaine de la Presse à l’École donne "l’occasion de voir comment se construit une information". Il faut aussi "agir sur la pédagogie" pour donner du sens aux apprentissages, doter les élèves d’un ensemble de connaissances et de compétences qui doivent leur permettre "d’être acteurs dans leurs apprentissages", et il ajoute : "La pédagogie ce sont des valeurs mises en action" pour que chaque élève se sente reconnu et pour "mettre en œuvre une école inclusive plutôt qu’une école qui exclut".
Inscrivons explicitement la lutte contre les inégalités dans les missions des enseignants
Autre piste d'action, "agir sur la formation" et notamment sur l'unité d'enseignement des ESPÉ (Ecoles supérieures du professorat et de l'éducation) "baptisée Culture commune (...) Mais malheureusement, trop souvent dans les ESPÉ, ces formations se font sous forme de cours magistraux laissant peu de place aux échanges et aux débats". Le professeur de sciences économiques et sociales est d'ailleurs "frappé par le manque de culture sociologique de nombreux enseignants" qui sont conduits "à naturaliser la difficulté scolaire" et à faire référence à la théorie des dons. Quant à la formation continue, elle est "indigente", même si "de nombreux établissements programment dans les jours qui viennent des réunions de débriefing avec les enseignants. C’est à ce niveau là qu’on pourra faire le bilan de ce qui vient de se passer, mutualiser les expériences et les outils et réfléchir collectivement aux suites."
Il serait temps, insiste P. Watrelot, de prendre conscience "qu’à force de maintenir une École injuste et qui ne remplit plus sa promesse démocratique, on crée le risque potentiel de nouvelles crises, d’émeutes et de radicalisations (...) Inscrivons explicitement la lutte contre les inégalités dans les missions des enseignants", et considérons que "les réponses à la crise sociale qui est devant nous doivent être trouvées au niveau local."
Il pose enfin la question de la laïcité qui ne doit pas avoir "l’air de favoriser une religion", mais reposer sur "la construction d’un espace qui donne sa place à chacun et qui le reconnaisse dans sa diversité". Mais il rappelle que les attentats de 1995, du 11 septembre 2001, du 21 avril 2002, et les émeutes urbaines de 2005 ont à chaque fois donné lieu à la même formule : "plus rien ne sera jamais comme avant".