Orientation » Recherches et publications

Décrochage : un rapport interministériel évoque la difficulté de définir ce fléau, et les faiblesses de l'action

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le jeudi 19 juin 2014.

"Réduire le décrochage scolaire constitue un enjeu essentiel pour notre société et à ce titre une priorité nationale (...) La France ne peut laisser sur le bord du chemin près d’un jeune sur cinq (...)". Le ministère de l'Education nationale et le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) publient un "rapport de diagnostic" titré "Evaluation partenariale de la politique de lutte contre le décrochage scolaire" dans lequel est clairement lancé un appel à la mobilisation générale contre ce fléau en même temps que sont listés les freins et les difficultés que rencontre l'action publique.

Benoît Hamon rappelle à cette occasion que ce diagnostic sera mis en discussion "lors de la grande conférence sociale des 7 et 8 juillet" et qu'un "plan d’actions" sera annoncé à l’automne. Il s'agit de "mettre en place une politique dédiée, intégrée et partenariale de lutte contre le décrochage" prenant en compte la prévention, de "mieux évaluer les dispositifs en suivant des cohortes de jeunes" et de "mettre en place une communication à la hauteur des enjeux".

Voici des éléments significatifs du rapport qui précise que "les travaux de l’évaluation de la politique de lutte contre le décrochage scolaire vont se poursuivre", ce qui témoigne de l'insatisfaction de ses auteurs.

Un phénomène et des objectifs mal définis

Le décrochage est en effet un phénomène complexe, "il intègre dans une même catégorie des situations et des parcours très différents". Sa mesure "doit progresser (...) Le partage et la fiabilité des données sont à renforcer, à travers l’amélioration du fonctionnement du SIEI [système interministériel d'échange d'informations, ndlr], mais aussi en cherchant à articuler ces données avec les travaux en cours autour de l’INE (identifiant national élève) et du CPF (compte personnel de formation)."

On sait toutefois que 17,6% des élèves quittent le système sans diplôme : "3,7% partent au cours du collège, 3,9% au cours du CAP, 5,3% au cours du Bac professionnel et 4,7% au cours du lycée général ou technique. Les sorties sans diplôme en CAP et Bac professionnel concernent donc environ 40% de la population scolaire au sein de ces formations." On sait aussi que certains territoires sont "davantage exposés au risque de décrochage (...), notamment les départements et territoires d'Outre-mer, les zones d’éducation prioritaire , les zones très rurales." Le CEREQ a d'ailleurs "établi une cartographie des zones à risques de sortie précoce de formation initiale" ; elle confirme l’impact "des caractéristiques socio-économiques d’un territoire et de sa population sur le décrochage scolaire".

Le rapport évoque les objectifs que se sont donnés l'Europe, le président de la République et le ministère de l'Education nationale en matière de lutte contre le décrochage. Ces objectifs suscitent "des interrogations". En effet, "ils concernent des échéances différentes, et ne sont pas explicitement articulés entre eux". Par ailleurs, si l’objectif présidentiel témoigne d’une volonté interministérielle, "ces objectifs ne sont pas toujours compris de la même façon par les acteurs concernés. L’Education nationale s’est par exemple fixé un objectif portant sur le retour en formation initiale des jeunes en situation de décrochage (...)." De plus, "le pilotage de la politique reste embryonnaire et inégal selon les territoires. Il existe peu de pilotage national interinstitutionnel (...). Aux niveaux académique, régional et départemental, les partenariats sont souvent hétérogènes. Des acteurs incontournables (élèves et leurs familles, enseignants, corps d’inspection, entreprises) sont également insuffisamment impliqués dans le pilotage de la politique."

Dans le domaine scolaire

"Le phénomène du décrochage interroge la responsabilité du système éducatif, notamment sa capacité à faire réussir les populations les plus défavorisées" et il pourrait jouer un rôle comparable à celui du "Pisa-choc" en Allemagne. Celui-ci a provoqué "des évolutions importantes du système éducatif". Ce phénomène en effet "représente l’aspect visible, extrême de l’échec scolaire (...), la pointe avancée d’un phénomène plus ample, la portée à incandescence d’un foyer diversement alimenté".

"Dès la maternelle, il est possible de mettre en place des actions visant à rendre l’école davantage bienveillante, à donner une place aux parents au sein de l’école et à repérer de manière systématique les dysfonctionnements cognitifs et d’apprentissage, les problèmes de santé et les situations d’handicap."

L'échec scolaire est en effet un prédicteur (ou une cause) du décrochage. D'ailleurs, parmi les "10 % d'élèves ayant eu les scores les plus faibles aux tests de mathématiques (à l'entrée en 6ème), 48,4 % sont sortis sans diplôme".

Et pourtant, "le MEN s’investit progressivement sur le champ de la prévention". Pour les auteurs du rapport, "les évolutions structurelles de l’école visant à prévenir le décrochage scolaire restent encore timides. L’évaluation des élèves reste caractérisée par la notation et l’évaluation sommative et l’organisation scolaire est souvent trop rigide." Ils notent de plus que "certains établissements connaissent un nombre d’élèves en situation de décrochage significativement inférieur à d’autres", laissant entendre que les bonnes pratiques ne se diffusent pas. Ils ajoutent que "les actions de prévention apparaissent dispersées, souvent non coordonnées, peu pérennes et prenant en compte un nombre limité de jeunes". Quant aux enseignants, ils "sont, de manière générale, encore peu impliqués dans les projets de lutte contre le décrochage" tandis que "les corps d’inspection sont très peu présents sur ce sujet".

La politique de prévention "doit s’appuyer sur la mise en œuvre plus systématique d’alliances éducatives au sein de l’école et de la classe, en faisant collaborer des équipes éducatives et pédagogiques. Elle doit également accorder une place plus importante aux parents, en les impliquant davantage dans le projet pédagogique et éducatif de l’élève."

La faiblesse du pilotage

Regardant au-delà de la seule Education nationale, les auteurs constatent que "de nombreuses actions sont mises en œuvre (...) Mais force est de constater qu’il ne s’en dégage pas une cohérence globale ; les rôles et responsabilités ne sont pas identifiés de manière suffisamment explicite pour permettre de les considérer comme constitutifs d’une politique à la hauteur des enjeux."

"La diversité des profils des jeunes sortants du système éducatif sans diplôme de l’enseignement secondaire appelle une diversité d’approches et un travail en réseau afin de proposer à chacun un soutien et des solutions adaptées. Elle milite pour une nécessaire collaboration entre les acteurs des sphères pédagogique, éducative, sociale et médicale autour du jeune, à tous les moments du processus, et dès le primaire."

Le rapport cite en exemple le partenariat signé en Seine-Saint-Denis par l’académie de Créteil, la Région Ile-de-France et le Conseil général "autour de la liaison 3 ème – 2 nde / lycée professionnel". Mais "ce type de conventions n’est pas généralisé sur le territoire".

"Parmi les 200 500 jeunes identifiés par le SIEI, 90 050 ont été accompagnés (...) Les résultats des actions de remédiation restent limités (...) Les expérimentations menées dans le cadre du FEJ évoquent un impact mitigé des solutions évaluées."

Les auteurs notent que "la mise en œuvre de la Garantie européenne pour la jeunesse  pourrait constituer un cadre 'ensemblier' de mesures complémentaires pour répondre à la diversité des publics jeunes et de leurs besoins et remédier à la juxtaposition des actions et des acteurs."

Le rôle des collectivités

"Depuis 2005, le ministère de la Ville a mis en place les programmes de réussite éducative (PRE), gérés par l’ACSé, qui partent du repérage des difficultés des enfants (de 2 à 16 ans) et débouchent sur un suivi individualisé (...) seize communes expérimentent des PRE pour les 16 - 18 ans, sur le sujet du décrochage scolaire." Quant aux Régions, elles "disposent de leviers structurels qui peuvent contribuer à prévenir le décrochage", ce sont notamment "la construction et donc la localisation des EPLE et des internats" et "la carte des formations professionnelles initiales".

"La définition d’un cadre partenarial clair de la politique, avec des chefs de file selon les domaines, est nécessaire ainsi que des évolutions autour de la prise en charge partenariale notamment des 16 - 18 ans. Elle doit favoriser la formation tout au long de la vie se déclinant de façon concrète dans des modalités de qualification progressives et des alternances et combinaisons formation / emploi variées."

Le rôle des entreprises

"Les entreprises, qui peuvent contribuer de façon significative à une meilleure connaissance du monde professionnel et à une orientation mieux choisie ainsi qu’à des dispositifs de raccrochage, restent insuffisamment impliquées."

Les partenaires sociaux ont pourtant conclu un ANI (accord national interprofessionnel) "qui prévoit une prise en charge renforcée des 'jeunes décrocheurs', différenciée selon leur niveau de formation (...) Une évaluation a été menée par le cabinet GESTE : elle indique qu’à cette occasion des nouvelles modalités de prise en charge des jeunes et de rapprochement avec le monde de l’entreprise ont été tracées (...)."

Cet ANI prévoit aussi que ces jeunes "de plus de 16 ans sortis du système éducatif, en particulier ceux pris en charge par les plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs et le service public de l’emploi pourront bénéficier d’une formation initiale différée (sous statut scolaire pour les jeunes ne bénéficiant pas d’un premier niveau de qualification professionnelle reconnue) ou accéder à une formation de la région dans le cadre du service public régional de la formation professionnelle".

A noter qu'à aucun moment de ce rapport, même dans les annexes, ne sont cités les CQP (certificats de qualification professionnelle) délivrés par les branches, ni les "titres professionnels" délivrés par d'autres ministères que l'Education nationale ou l'Agriculture.

Le rapport ici.

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →