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Pierre Merle : "L'élitisation de l’école française tient au rejet du principe même d'égalité" (revue La Vie des idées)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 09 septembre 2015.

"À la décade glorieuse 1985-1995, marquée par une forte croissance de la scolarisation, a succédé, dans les années 2000, une décennie d’inégalités, caractérisée par un accroissement des écarts de compétences entre les élèves (et) une croissance de la ségrégation académique et sociale", estime Pierre Merle, sociologue et professeur d’université à l’ESPE de Bretagne et à l’Université européenne de Bretagne, dans un article publiée par la revue La Vie des idées le 08 septembre.

Ségrégation scolaire : la France à contre-courant

Comment s'est produit cette évolution ? Le sociologue cite pêle-mêle "l'assouplissement de la carte scolaire, la création des Réseaux Ambition Réussite, la mise en place des internats d’excellence, le développement des options, notamment linguistiques, source de différenciation des établissements".

Il souligne le décalage de la France avec d'autres pays comme l'Allemagne et la Pologne qui, eux, ont mené "une politique d’inclusion, c'est-à-dire déségrégative, inter et intra-établissements", suivant ainsi les recommandations de l'OCDE.

À ses yeux, même la période de forte massification du système scolaire français (1985-1995) est à relativiser : "ce sont les séries dont le recrutement est le plus populaire - les séries professionnelles - qui se sont ouvertes socialement". Quant à la démocratisation de l’enseignement supérieur, il note que les établissements les plus prestigieux s'avèrent de moins en moins accessibles aux enfants des classes populaires. Ainsi, pour les générations nées entre 1959 et 1968, les chances relatives des enfants de milieu aisé d’être scolarisés dans une très grande école sont "39,9 fois supérieures à celles des enfants des catégories populaires", contre "23,7 pour les générations nées en 1939-1948", précise le chercheur. "En un demi-siècle, la fermeture sociale du recrutement social des très grandes écoles est considérable", souligne-t-il.

"Égaliser", un verbe devenu "politiquement obsolète"

Pierre Merle diagnostique une "schizophrénie" de l’institution scolaire française. Car d'un côté, elle clame l’égalité des chances, la citoyenneté, le "vivre ensemble", et de l'autre, elle ne conduit aucune évaluation régulière des "phénomènes ségrégatifs croissants qui la caractérisent." "L’absence d’analyse statistique de la mixité sociale favorise indirectement le développement d’une forme d’apartheid scolaire", affirme le sociologue.

Quant aux mesures prises actuellement - développement de la préscolarisation des enfants des catégories populaires, réformes de la carte scolaire et du collège (qui prévoit notamment la suppression des classes européennes) -, Pierre Merle les juge favorables à l'équité et à l'efficacité "dans leur principe". Mais il pointe les "réticences résolues" et les "réactions stéréotypées" qu'elles engendrent : "nivellement par le bas", "égalitarisme", "renoncement à la culture". Pourtant, ces réformes sont "conformes aux préconisations de l’OCDE mises en œuvre avec succès dans des pays tels que l’Allemagne ou la Pologne", souligne-t-il.

En conséquence, Pierre Merle interroge : pourquoi en France ces changements sont-ils conduits de façon si limitée, ou carrément rejetés ? Selon lui, l’idée d’un "savoir commun" à tous est aujourd’hui contestée et le verbe "égaliser" serait même devenu "désuet, politiquement obsolète"."Sur la décennie 2002-2012, une des origines centrales de l’élitisation de l’école française tient au rejet du principe même d’égalité", conclut-il.

L'article est consultable ici

Diane Galbaud

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