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Le "Collège-lycée élitaire pour tous" de Grenoble fête son inscription dans la durée, mais s'inquiète de son avenir

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 28 mars 2022.

“J'étais dans un lycée classique jusqu'en première, j'ai eu des problèmes familiaux, j'ai arrêté les cours à ce moment-là et j'ai décroché pendant un an. J'avais beaucoup de mal à trouver du sens dans l'école, dans les programmes qu'on nous proposait“, explique à ToutEduc Simon, élève au CLEPT depuis bientôt deux ans, rencontré lors d'une table ronde organisée pour fêter les 20 ans (repoussés en raison du Covid-19) de la structure.

“Le dialogue, complètement différent“

Ce qui le marque, surtout, c'est “le dialogue, complètement différent“ ainsi que “des relations beaucoup plus humaines et normales, s'appeler tous par nos prénoms, se tutoyer.. On est plus proches de nos professeurs qui peuvent être aussi nos tuteurs, les rapports sont beaucoup moins hierarchisés que dans des lycées classiques. On ne classe pas les gens par rapport à leur âge mais plus par rapport à ce qu'ils ont envie de faire et où ils en sont.“

Pablo a également “fait quatre années là-bas, arrivé après un collège où c'était un peu difficile de comprendre le sens de ce que j'avais à apprendre. Du coup j'avais pas de bonnes notes j'étais au fond de la classe à faire le rigolo, après j'ai fait 2 BEP, des choses qui ne m'intéressaient pas, et après j'ai arrêté l'école.“

Grâce à un ami et comme une centaine d'élèves chaque année, il rejoint alors le Collège lycée élitaire Pour tous, situé à Grenoble. Le CLEPT est un établissement dont la spécificité depuis 22 ans “est de permettre à des jeunes qui ont quitté l'école très tôt et très longtemps, pour certains d'entre eux, et quel que soit leur passé scolaire, de revenir à l'école et de fréquenter des savoirs auxquels ils n'avaient pas vraiment eu droit jusqu'alors, pour pouvoir rejouer des cartes et justement échapper à certains destins scolaires, et si ils le souhaitent, obtenir un baccalauréat général“ explique la coordinatrice Agathe Vernay.

Deux cycles sont en effet proposés pour tenter de venir en aide aux décrocheurs d'au moins six mois, le premier dédié au raccrochage et à la consolidation des acquis scolaires, le second travaille les “savoirs émancipateurs“ jusqu'au passage du baccalauréat.

“Au début, détaille Pablo, ça fait bizarre parce que tu te retrouves avec des gens comme toi qui ont des soucis et t'as pas envie de t'en rajouter, au début j'avais ce jugement-là sur ce collectif, et en fait je me suis senti libre, je pouvais être comme je suis, c'était une porte ouverte. Mais j'ai pris conscience du travail pour avoir le bac, quand même c'était pas évident, faut assumer un statut de passer son bac à 22-23 ans alors que ceux de 17 ans l'avaient déjà, c'était un peu dur.“

Inégalités

Le nombre de décrocheurs a certes nettement baissé depuis 40 ans, mais reste très élevé, de l'ordre de 90 000 à 100 000 élèves qui sortent du système scolaire sans diplôme chaque année. Invité d'une table ronde sur le thème de la méritocratie, Jean-Paul Delahaye, ancien DGESCO au ministère de l'Education nationale indique d'ailleurs qu' “en 1980, 40 % des élèves sortaient du système scolaire sans diplômes, tandis qu'aujourd'hui ils sont 8 %“. Seulement si le baccalauréat est plus accessible, “les inégalités se sont déplacées“ et le bac “n'est pas le même pour tout le monde“, les enfants d'ouvriers accédant majoritairement aux bacs techno et professionnel, les enfants de cadres au bac général.

“Ce n'est pas parce qu'un élève vient d'une filière professionnelle, qu'il faut immédiatement penser qu'il doit retourner en professionnel car le général ne serait pas pour lui“, considère de même Agathe Vernay pour qui “si ces jeunes doivent reconstruire une confiance en eux, doivent pouvoir suivre des cours exigeants sur un temps long tous les jours, imaginer que ce soit facile, c'est se tromper, et ça ne peut se faire que dans un lieu qui le permet, accueillant et qui ne fonctionne pas comme un lieu ordinaire.“

La coordinatrice, présente dès le début de l'expérimentation, raconte que le CLEPT a été pionnier sur les questions de décrochage et qu'il devenu légitime après s'être doté d'un conseil scientifique, avoir publié, organisé des colloques (avec l'aide de l'association la Bouture, ndlr).. et pourtant, la relation avec l'administration de tutelle “n'est pas simple“.

Situation intranquille

Nous sont décrites les craintes du CLEPT, dont “la place dans l'académie est reconnue, celle-ci a besoin de nous car nous sommes identifiés comme la ‘structure de retour à l'école‘, mais notre structure a vraiment des spécificités qui font d'elle un véritable établissement en soi et non pas un simple dispositif‘. D'autre part, plusieurs enseignants qui ont depuis deux ans postulé au CLEPT n'ont pas obtenu de poste, et sont affectés de façon “provisoire“.

Surtout, le CLEPT s'inquiète car il va devoir quitter ses locaux et intégrer un établissement scolaire “traditionnel“ en septembre 2023. Un déménagement, mais pour Agathe Vernay, “le problème c'est que c'est l'occasion pour notre administration de tutelle de dénaturer le projet qui est le nôtre“.

Elle se remémore “cette initiative (qui) n'a pas été pensée par les autorités de tutelle" et le ministère de manière descendante vers les académies où il faut trouver des profs, des personnels... C'est l'unique fois je crois dans toute l'histoire de l'Education nationale qu'est né un établissement porté par la base, par deux enseignants qui ont été mandatés pour faire une étude de faisabilité parce qu'ils voyaient que beaucoup de jeunes quittaient l'école alors qu'ils pensaient qu'ils y avaient toute leur place.“

Pablo, aujourd'hui, est éducateur, et ce qui l'a le plus marqué, c'est qu'il “retrouve des outils pédagogiques, psychologiques que les profs utilisaient lors de séances de tutorat, ils s'adaptaient à la problématique de l'individu plutôt qu'au programme qu'ils devaient leurs apprendre.“ Il cite les conseils de classe avec tous les élèves au même endroit au même moment, l'absence de notes, jusqu'en terminale avec uniquement des appréciations sur ce qu'il y a à améliorer. “C'est plaisant parce que c'est valorisant“, conclut-il.

Le site du Clept ici

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