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Bac pro en 3 ans : deux sociologues soulignent les risques d'une confusion avec le CAP

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 13 décembre 2013.

A défaut "d'adapter l'élève au niveau de l'examen", le baccalauréat professionnel en 3 ans, certains enseignants se demandent s'ils ne devraient pas adapter le niveau des épreuves au niveau des élèves, tandis que "d'autres ne peuvent s'y résoudre", même si on leur demande de maintenir, voire d'accroître les taux de réussite. Ce constat est celui de deux sociologues du CEREQ qui ont travaillé sur les "modes d'évaluation dans les diplômes professionnels" et qui ont pris deux exemples, un bac pro électrotechnique et un CAP électricité. Leur étude a été financée et publiée par le ministère de l'Education nationale (la DGESCO), mais n'engage que ses auteurs. Ses conclusions sont en effet plutôt sévères pour la réforme récente et le cursus en trois ans qui a suscité la "vive hostilité" des enseignants. Les auteurs ajoutent que leur enquête "ne s'est pas effectuée sans difficultés", peut-être "parce que les conditions, les contraintes dans lesquelles les enseignants sont placés les poussent à des pratiques de détournement et de contournement qu'ils jugent peu avouables..."

ToutEduc a pu se procurer cette étude qui fait état de quatre sources principales de difficulté. L'évaluation des "périodes de formation en milieu professionnel" suppose des rencontres des enseignants avec les tuteurs ou maîtres d'apprentissage, souvent "sur les chantiers en début ou en fin de journée pour ne pas gêner le travail en cours". Mais les rendez-vous "sont fréquemment déplacés en raison d'évènements impondérables", et finalement "parfois tout simplement annulés", à moins qu'ils ne se déroulent "dans l'urgence" et dans "des bureaux de fortune". Et souvent, quand ils parviennent à se rencontrer, les professionnels et les enseignants n'ont pas le même langage.

Manque de maturité

Deuxième cause du malaise, les élèves qui préparaient un bac pro en deux après un BEP avaient une maturité que n'ont pas les élèves qui arrivent de troisième. Les professeurs les décrivent comme "des collégiens plus que des futurs professionnels". Il faut pourtant leur "faire acquérir ce qui est inscrit dans le référentiel" dans un temps plus court (3 ans au lieu de 4 au total). Certains reconsidèrent leurs exigences et allègent les contenus. L'un d'eux explique : "On n'a pas le temps de répéter (...) il faut supprimer tout ce qui était un peu trop théorique (...) et c'est des fois un peu dommage parce qu'il y a une culture aussi derrière ces techniques." Et dès lors s'estompe la distinction entre le niveau bac et le niveau CAP, entre un diplôme qui reconnaît la capacité à prendre des initiatives, à être "un technicien" et un autre qui permet à un "exécutant" de réaliser des tâches prescrites.

Les auteurs rapportent encore une "obligation de résultats" faite aux enseignants. Les chefs d'établissement doivent afficher des taux de réussite important, faute de quoi ils pourraient perdre des postes. Un recteur aurait même explicitement annoncé que "les moyens des années futures (...) seront donnés en fonction des résultats aux examens", lesquels dépendent pour partie des CCF, les "contrôles en cours de formation", donc des enseignants eux-mêmes.

Connaissances et compétences

Enfin, le rapport mentionne les difficultés générées par le passage à la notion de "compétences", qui renvoie "davantage à une performance (réponse efficace à une tâche donnée) qu'à un processus de mobilisation de ressources diverses". Il ne s'agit plus de vérifier que l'élève a compris, mais de constater qu'il a réussi, alors que les enseignants "sont plus attentifs à la mise en oeuvre des démarches". Pour les auteurs, on ne doit pas parler de "résistance au changement" de la part d'enseignants à qui on demande d'évaluer par "acquis / non acquis", ce qui "se laisse difficilement appréhender selon un mode binaire", alors que "les liens qui existent entre connaissance et action ne semblent pas à l'heure actuelle totalement explicités".

Au total, les auteurs sont plutôt favorables au CCF, voire au contrôle continu (avec le maintien d'une épreuve nationale en ponctuel qui servirait de "garde-fou"), car, sans qu'ils le disent explicitement, ils ont été manifestement convaincus des qualités professionnelles de leurs interlocuteurs.

"Modes d'évaluation dans les diplômes professionnels", Josiane Paddeu et Patrick Veneau, CPC études, novembre 2013

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