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Mettre compétence et curriculum au service d’une culture commune... même si le temps du projet est l'imparfait (M. Develay)

Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 12 février 2015.

Proposer les voies d’une transition entre exigences disciplinaires et compétences, c’est l’ambition de Michel Develay (Lyon-II) avec "D’un programme de connaissances à un curriculum de compétences". Il traite notamment des notions de programme, de connaissance, de culture, de curriculum, de compétences mises au service de la transition entre l’écriture des contenus d’enseignement en termes de programme de connaissances et de curriculum de compétences. Mettant en tension spéculation et pratiques, l’auteur n’hésite pas à se montrer iconoclaste, si ce n’est provocateur.

Ainsi, il souligne que l’idée de compétence fait consensus puisqu’elle est adoubée par le MEDEF et valorisée par des mouvements pédagogiques. Pour lui, cela n’est pas étonnant car, dans l’idée de compétence, s’unissent un donné de nos sociétés (le développement d’Internet qui laisse croire que le savoir est facilement accessible par les moteurs de recherche) et une théorie du développement du sujet nommée socio -constructivisme (le sujet se construit en construisant ses objets par la médiation d’un conflit sociocognitif). Mais parce qu’elle permet de donner du sens aux apprentissages par l’action qu’elle oblige, Michel Develay appelle à considérer avec intérêt l’idée de compétence. Par l'accent mis sur le savoir agir, elle est censée favoriser davantage l'individualisation, mettre en exergue des capacités ou compétences transversales -se nommant créativité, pensée critique, résolution de problèmes, coopération, prise de décision-, développer l'intérêt pour la question du transfert des connaissances... Par ailleurs, elle est depuis plus de vingt ans en usage dans les lycées professionnels et elle est aussi dans le champ des formations en général, dont la formation des enseignants, par l'intermédiaire de référentiels de compétences.

Les savoirs ne sont pas des connaissances

L’auteur se montre parfaitement pédagogue lorsqu’il différencie savoirs et connaissances : les savoirs sont codifiés dans des ouvrages de référence (manuels, dictionnaires, cahiers de procédures, encyclopédies) et existent donc en dehors de tout sujet; les connaissances, par contre, sont inséparables d’un sujet connaissant.

Il en est de même quand il parle du curriculum. Formellement, le programme d’études est ce qui doit être enseigné, correspondant ainsi au produit d’un enseignement. Tout aussi formellement le curriculum serait ce qui est enseigné, et qui plus largement dessine le parcours de formation d’un élève : un processus davantage qu’un produit. Le terme de curriculum est autre et davantage que celui de programme. Il vise à faire exister une cohérence forte unissant finalités, objectifs généraux, contenus, méthode, planification, évaluation, aides didactiques et pédagogiques et aides formatives.

Trois stratégies

Pour lui, passer d’un programme de connaissances à un curriculum de compétences entraîne des transformations concernant principalement trois registres : le registre pédagogique, celui des structures et celui des contenus. Et c’est là que l’auteur fait ses recommandations en termes de stratégie de changement : ne pas séparer les changements pédagogiques et les changements de structure ; veiller à ce que les diverses strates du système éducatif fonctionnent sur les mêmes représentations du changement. Il n’existe pas de changement sans une stratégie d’implémentation de ce changement. Trois stratégies sont possibles pour que des réformes voient le jour :

– le changement par embrasement comme c’est le cas avec une réforme décidée le cas échéant par la loi, considérant qu’il suffit de dire ce qu’il convient de faire pour que la mise en actes s'ensuive sur tout le territoire ; périlleux si des consensus n’ont pas été recherchés au plan politique et avec les syndicats ; et même si c’est le cas, très risqué car des réactions peuvent surgir à tout moment ;

– le changement par identification à un territoire pilote comme une académie ou un rectorat ou toute structure administrative incluant la concentration de toutes les ressources en formateurs, aides pédagogiques, accompagnement des enseignants… afin de pouvoir montrer aux autres territoires du pays que le changement est possible ; il s’agit d’une politique d’implémentation par l'exemple d’un lieu qui en général doit beaucoup au dynamisme de l’équipe pionnière ;

- le changement par la dissémination, simultanément sur plusieurs territoires du pays avec des ressources moindres que précédemment sur chacun de ces territoires mais avec la possibilité de montrer que "c’est possible" dans des contextes différents ; il s’agit d'une politique d’implémentation par l’exemple d’un échantillon considéré représentatif qui a parfois bénéficié préalablement de procédures et d’outils élaborés par une cellule de l’innovation.

Le temps long et l'imparfait

La pensée de Michel Develay se trouve illustrée par deux passages de son livre. Celui, volontaire, où il affirme que compétence et curriculum sont au service de ce qui justifie toute entreprise éducative : le partage d’une culture commune aux élèves scolarisés. Et celui, d’une certaine sagesse, où il nous dit qu’un temps long est nécessaire pour que les projets humains prennent forme au-delà des intentions qui les ont fait naître, des diatribes qu’ils suscitent, des essais qu’ils obligent. Tout projet est dessein avant d’être dessin, et quand les deux se tuilent, la mise en actes pour parvenir au but est encore semée d’embûches. Fréquemment contesté à son émergence, le projet est pour le moins chicané à l’arrivée, car il se montre presque forcément à quelque distance de son épure. Le temps du projet semble n'être que l’imparfait.

Et si cette volonté et cette sagesse étaient partagée par les décideurs, les acteurs…et les commentateurs ?

"D’un programme de connaissances à un curriculum de compétences", Michel Develay, De boeck éditeur, 152 p., 30 €

 

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