Numérique éducatif : des enjeux de civilisation ? (débat organisé par la CNIL)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mardi 08 novembre 2022.
Quel est le projet stratégique pour le numérique qui serait susceptible d'enthousiasmer les élèves et les enseignants ? Quelles sont les valeurs qui sont en jeu ? Ces questions ont été posées, hier 7 novembre, alors que la CNIL organisait un moment de réflexion sur le thème "Élaborer l’éthique du numérique éducatif : un défi collectif" et attirait l'attention sur son site et la vidéo qu'on y trouve "pour comprendre ce qu’est une donnée personnelle" (ici).
Les produits edtech (technologies pour l'éducation) eux-mêmes ne sont pas sans danger, comme le souligne Bénédicte Jeannerod de Human Rights Watch. Sur 163 produits testés, américains, chinois, allemands, russes..., près de 90 % seraient “à risque" pour leurs utilisateurs et ont monétisé les données recueillies auprès de 196 entreprises "adtech". Sur cinq produits français, deux dont English for school (du CNED) étaient "problématiques", mais ont depuis retiré les outils de traçage. En effet, une fois que les données personnelles, identité, adresse, activités, amis, ont été associées à une adresse IP et transmis à une société chargée de placer des publicités ciblées (les adtechs), la seule solution est de mettre l'ordinateur à la poubelle !
Un "cadre éthique commun"
Or les données recueillies sur les réussites et les erreurs des élèves permettent aussi de leur proposer des exercices personnalisés, de les "emmener à la réussite". Elles risquent aussi de jouer le rôle des prophéties auto-réalisatrices, et de provoquer l'échec. Comment à la fois protéger les enfants et les jeunes et partager les données ? demande Edouard Geffray, le DGESCO, pour qui il s'agit de construire un "cadre éthique commun", une préoccupation que partage le représentant de l'UNESCO pour qui il faut des "normes et standards internationaux". De même, Audran Le Baron, directeur du numérique pour l’éducation, évoque un "code de conduite" des edtech en cours de construction, mais aussi la nécessité de "développer et enrichir l'enseignement du numérique au niveau du collège et même du cycle 3 (les deux niveaux de CM et la 6ème, ndlr) avec une certification PIX conçue pour les élèves de 6ème, mais aussi un "PIX+" et un CRCN (cadre de référence des compétences numériques) pour les enseignants. Il estime d'ailleurs qu'il faut "aller plus loin que le RGPD" et la DNE soumet à la CNIL une proposition pour la certification des produits.
Ces garde-fous sont d'autant plus nécessaires que l'accessibilité à l'ensemble des ressources suppose une organisation des plateformes telle qu'elles soient interopérables, ce que cherche à faire le ministère et ce qui est déjà le cas avec Edu-connect (qui donne accès aux démarches en ligne, comme les demandes de bourse, à l'ENT, au livret scolaire..., ndlr) et le GAR (le gestionnaire d'accès aux ressources numériques), les premières "briques" du projet, alors que d'autres acteurs, notamment les collectivités territoriales souhaitent avoir accès à certaines des données recueillies. Bernard Giry (Conseil régional d’Île-de-France) donne l'exemple des emplois du temps pour une meilleure gestion des locaux scolaires, et celui de l'état du parc informatique, que la Région connaît contrairement au ministère .
Jean-Yves Hepp (fondateur de Unowhy) va plus loin : "inventer l'école de demain" suppose une co-création par le secteur privé et le secteur public qui doivent se donner un objectif commun. Les edtech doivent-elles, comme aux USA, avoir pour projet de "recruter des consommateurs" ou comme en Chine, de donner au Gouvernement les outils d'un "ultra totallitarisme" ? Il propose plutôt "une pédagogie différenciée à la main des enseignants" et, ainsi, de "réenchanter les enseignements", les enseignants se sentant pleinement dans leur rôle de "cadres de l'Education nationale". Oui, répond Dorie Bruyas, présidente de la MedNum, mais pour quoi faire ? S'agit-il de favoriser le développement individuel ou la participation demain à une société démocratique ?
La vidéo (3h43) est en replay ici, le programme (pour cibler les interventions) ici