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Réforme de la voie professionnelle : l'analyse de la CGT (interview)

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 24 février 2023.

La CGT s'oppose, au sein de l'intersyndicale, à la réforme de la voie professionnelle. Philippe Dauriac, secrétaire national et référent du pôle PLP de la CGT Éduc'action revient sur les propositions de son syndicat.

ToutEduc : Vous parlez d'un projet émancipateur de la CGT Éduc'action. Quelles différences entre vous et les autres formations syndicales ?

Philippe Dauriac : En termes de revendications et de projets, il n'y a pas beaucoup de différences entre nous. Mais la spécificité de la CGT Éduc’action, c'est qu'on est rattaché à une Confédération, nous avons donc une lecture de l'enseignement professionnel différente en ce qui concerne l'intégration dans le monde du travail et le droit du travail, les besoins de qualification, les stratégies européennes, entre autres... Avec le lycée professionnel, les jeunes suivent des formations qui vont être diplômantes et leur permettre d'avoir un niveau de qualification qui leur garantira une progression en termes de salaire, notamment. L’autre aspect : la formation professionnelle doit répondre aux enjeux écologiques et environnementaux, aux besoins actuels de la société et, ce n’est pas du tout le cas aujourd'hui. Nous sommes favorables à ce que soient ouvertes des formations qui permettent de monter le niveau de qualification des jeunes pour répondre aux besoins du grand âge, de la petite enfance, des hôpitaux...

ToutEduc : Comment analysez vous le projet de réforme de la voie professionnelle ?

Philippe Dauriac : A la CGT, on considère que le projet de transformation de la voie professionnelle appauvrit les contenus de formation et attaque directement les enseignements disciplinaires. On considère qu'il ne faut pas faire moins de disciplinaire et plus de compétences transversales mais, au contraire, plus de disciplinaire pour permettre aux élèves d'obtenir un haut niveau de qualification, notamment en poursuivant leurs études. Le lycée professionnel doit permettre aux élèves de s'insérer directement sur le marché de l'emploi, mais surtout, qu'ils puissent construire leur poursuite d'études

ToutEduc : Vous voulez en finir avec les "compétences"...

Philippe Dauriac : Les compétences posent un problème parce que c'est une attaque directe contre le diplôme qui reste la garantie de la qualification et de la rémunération. Derrière les compétences, il y a un projet politique, celui de baisser à terme le coût du travail, parce qu’on va rémunérer les gens en fonction du poste de travail et des compétences dont on a besoin et non pas de l'ensemble les qualifications que la personne pourrait faire valoir et que son diplôme atteste. Il faut un changement de paradigme total. C'est compliqué, parce que c'est complètement lié au choix européen et à la stratégie de Lisbonne de 2000, ça amène à requestionner les décisions qui ont été prises au niveau européen. Ce n'est pas un mince chantier. Mais nous refusons de voir chacun renvoyé à ses caractéristiques personnelles et à une négociation individuelle par rapport aux compétences demandées. Cela individualise la société, la fragilise davantage, notamment par rapport aux droits sociaux.

ToutEduc : Comment, selon vous, rendre la voie professionnelle plus attractive ?

Philippe Dauriac : On propose toujours les mêmes formations aux élèves de lycées professionnels : commerce, maintenance des équipements industriels, coiffure, esthétique... Pourquoi ne pas penser à ouvrir les lycées professionnels à d'autres formations, avec les enjeux écologiques et environnementaux, par exemple. On a tout un travail à faire, ne serait-ce que sur le bâti scolaire. On a besoin de techniciens pour effectuer ce travail et pas juste de la main d'œuvre corvéable à merci. On a besoin de gens qui aient un haut niveau de qualification et ça, le lycée professionnel doit pouvoir le faire, notamment en encouragenant les poursuites d'études en BTS. Pour prendre d'autres exemples, qu'est-ce qui empêcherait d'ouvrir un bac pro sport pour la maintenance de matériels, un métier sport avec, par exemple, un module vente ? On a besoin de techniciens pour les jeux vidéo, dans les médias, le théâtre, le cinéma ; s'ouvrir à des métiers pour lesquels, pour le moment, on n'a ouvert aucune formation en lycée professionnel. Tout cela rendrait plus attractif le lycée pro et les élèves s'orienteraient moins par défaut mais par choix, parce que ça les intéresserait de faire ce type de formation.

ToutEduc : Et comment lutter contre les inégalités et les discriminations ?

Philippe Dauriac : Les élèves arrivent en lycée professionnel, après le collège et l'école primaire. Les inégalités et les discriminations sont déjà inscrites dans leur parcours scolaire. Elles sont parfois renforcées, malheureusement, une fois arrivés au lycée professionnel, notamment  du fait de filières extrêmement genrées, et des mécanismes de reproduction sociale. Le débat est large mais je retiens deux éléments : réinscrire les lycées professionnels dans la carte de l'éducation prioritaire, ce qui veut dire des moyens supplémentaires, des dédoublements, donc un travail plus spécifique, et donner une allocation d'étude aux élèves pour éviter qu'ils ne soient obligés de travailler l'été ou les week-end...

ToutEduc : Avant l'arbitrage final, en mars, sur la réforme, il y a cette étape bilatérale avec les organisations syndicales sur les préconisations...

Philippe Dauriac : Chaque organisation syndicale va être reçue séparément des autres, à plusieurs reprises pour discuter de différentes thématiques. La difficulté, c'est qu'on ne sait pas sur quelles thématiques. Mais on ne se fait pas d'illusions. On sait qu'on ne parlera pas de négociation. C'est une mascarade de dialogue social. On consulte les organisations syndicales mais ça ne va pas infléchir le projet ou alors de façon extrêmement périphérique. Nous y allons, avec beaucoup de conviction, pour réaffirmer notre projet, celui que je viens d'évoquer. On veut remettre en question la TVP, la transformation de la voie professionnelle, car le projet de Macron est régressif et réactionnaire et ça renvoie à la formation professionnelle qui se faisait avant la Seconde Guerre mondiale.

ToutEduc : Que pensez-vous du Service National Universel ?

Philippe Dauriac : C'est une très très mauvaise idée, cela va de soi. L’objectif affiché de former les "futurs citoyens" cache en réalité la volonté d’imbiber la société de culture militaire dans l’espoir qu’infuse, dans la jeunesse, un amour de l’uniforme et de l’ordre. Ils veulent faire aussi en sorte que ce SNU puisse être comptabilisé comme des PFMP (périodes de formation en milieu professionnel). C'est une sorte d'uniformisation de la jeunesse avec un encadrement très militarisé qui ne correspond pas du tout à ce que nous portons comme projet pour les jeunes. En plus, il y a la dimension financière. C'est l'Education nationale qui va prendre sur son budget ; je crois que c'est autour de 2000€ par élève. En plus ça peut se faire pendant les périodes de scolarité, c'est-à-dire qu'on enlève aux élèves du temps scolaire. Quelle pédagogie mettre en place ? Quels intervenants avec quelles qualifications ? Il y a un certain nombre de questions qui demeurent sans réponses. La CGT Éduc’action porte pour la jeunesse une ambition d’éducation populaire.

ToutEduc : Selon vous, l'apprentissage n'est pas une voie d'excellence car c'est une voie de formation qui reproduit les inégalités du marché du travail et qui est discriminante, dangereuse et où les violences sexuelles et sexistes existent...

Philippe Dauriac : Il n'y a aucune donnée en France. Pas de statistiques précises sur ce dernier point que nous qualifions d'angle mort. Mais on a été interpellés à plusieurs reprises sur ces problèmes que rencontrent les apprenti(e)s. Les témoignages sur la réalité de ces violences sexistes et sexuelles existent dans le monde du travail. On met des jeunes dépendants dans un monde d'adultes très hiérarchisé et ces jeunes ont peur pour leur contrat. Cela nous paraît important d'interpeller le ministère pour avoir des données et pour dire à un moment donné qu'il faut un véritable plan national sur cette question là...

Propos recueillis par Rabah Aït-Oufella

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