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Co-construction et partage des tâches, deux modèles à faire cohabiter pour faire vivre la relation école-entreprise (CEREQ)

Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 13 avril 2023.

Il existe dans la relation école-entreprise “deux modèles trop souvent présentés comme antagonistes“ estime Damien Brochier dans une analyse publiée le 3 avril.

Or cette relation formation/emploi, estime le chercheur du Cereq, alors qu'elle était qualifiée “d’introuvable“ il y a près de quarante ans, “pourrait avoir l’opportunité de retrouver un sens en faisant advenir et en reconnaissant une forme de complémentarité“ entre ces deux approches qu'il nomme séquentielle et partenariale.

Car aujourd'hui, il existe dans les débats une “représentation commune, poursuit-il, celle d’une nécessaire adaptation des formations professionnelles aux besoins en compétences des entreprises“. La prise en compte des attentes des professionnels dans le contenu des certifications est “au fondement de la structuration du système français d’enseignement technique et professionnel à partir du début du XXe siècle“, explique-t-il, et “la forme canonique qui en a résulté à partir des années 1960, et qui est encore largement prégnante aujourd’hui, est celle d’un partage des rôles entre les acteurs publics de l’éducation et les représentants du monde professionnel“.

Modèle séquentiel

Ici, on retrouve par exemple la création du diplôme de baccalauréat professionnel en 1985, qui a “répondu à un besoin de recrutement, exprimé par l’organisation professionnelle de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), de jeunes de formation technique initiale de niveau 4, du fait de l’ampleur des changements technologiques auxquels étaient confrontées les entreprises qu’elle fédérait.“

Trois implications résultent de ce type d'approche. D’abord, que “les partenaires adhèrent à une même norme de qualification, c’est-à-dire un cadre général d’équivalence entre formation, qualification et emploi (..). L’élaboration et la mobilisation de ce cadre ont constitué un moteur des exercices de planification nationale qui ont balisé le développement socio-économique de la France durant les trente glorieuses." Ainsi, la massification scolaire des années 1960-70 a “pu être gérée en faisant de la détention du baccalauréat une norme progressivement acceptée par les entreprises pour accéder à la plupart des emplois qualifiés".

Deuxième condition, laisser un délai nécessaire au système éducatif pour “digérer“ les attentes des milieux professionnels (dans le cas du bac pro, trois ans entre l’expression des premières demandes par l’UIMM et la sortie des premières cohortes de diplômés), une durée “indispensable pour construire une offre de formation publique sur l’ensemble du territoire, et garantir une homogénéité de la réponse éducative aux attentes des professionnels.“

Dernier élément, une logique de répartition stricte des rôles entre les acteurs du système éducatif et les professionnels. Aux enseignants la responsabilité d’offrir un cadre pédagogique adapté pour transmettre aux jeunes les connaissances nécessaires pour obtenir leur diplôme, aux professionnels l’intégration sur leurs postes de travail des jeunes ayant suivi les cursus concernés, et détenant donc a priori les qualités requises pour les emplois. Entre ces deux sphères, un seul espace d’interaction existe, celui des Commissions professionnelles consultatives (CPC) qui permettent d’inscrire les compétences attendues par les professionnels dans l’exercice d’un métier dans un cadre compatible avec la norme scolaire : celui du référentiel du diplôme.

Modèle partenarial

Cependant, la nature des interactions entre acteurs du monde professionnel et système éducatif s’inscrit dans une autre filiation, celle des mesures visant à “rapprocher l’école et l’entreprise“ mises en œuvre depuis la fin des années 1960 à tous les niveaux de l’appareil éducatif. Celles-ci peuvent être fédérées autour de trois dimensions principales.

En premier lieu, il existe un “enjeu commun“ aux acteurs qui pilotent ou animent ces dispositifs, à savoir que la finalité des actions engagées ne soit plus centrée sur la seule construction et acquisition d’un diplôme, mais repose “sur la capacité des acteurs à contribuer collectivement à un processus de professionnalisation, défini comme une démarche d’intégration progressive à la vie professionnelle“. Celle-ci s’effectue par la formation d’une “qualification opératoire“, articulée aux situations de travail.

Autre dimension, la capacité de réactivité par rapport aux problématiques d’évolution des métiers, “souvent liée au caractère territorialisé de leur espace de déploiement“. On la rencontre actuellement dans le domaine de l’apprentissage, “avec les initiatives de création de CFA engagées par de nombreux groupes et entreprises depuis 2018, en réponse à leurs tensions en matière de recrutement“. Ainsi l’entreprise Décathlon, faisant face à une tension sur le marché de la réparation et l’entretien des vélos, a ouvert un CFA courant 2022 pour former des techniciens spécialisés dans ce domaine, en mobilisant l’AFPA afin de garantir le caractère certifiant de la formation dispensée.

Étroitement liée à la visée de professionnalisation, la dernière dimension évoquée est celle de “l’établissement d’un dialogue durable entre acteurs des institutions de formation et professionnels d’entreprises, pour inscrire la relation formation-emploi dans une logique de co-construction.“ Depuis des décennies, les dispositifs précités “contribuent à générer des identités d’acteurs d’interface“, c’est-à-dire des profils de professionnels d’entreprise ou d’enseignants dotés, par leur expérience, d’une capacité à articuler des compétences professionnelles et pédagogiques. Dans le monde professionnel, il y a les maîtres d’apprentissage “dont la capacité à concevoir les situations de travail comme des opportunités éducatives constitue le cœur de métier“, ou d'autres acteurs qui sont engagés dans des jurys, tandis que du côté des structures éducatives, de nombreux enseignants et référents des jeunes réalisant des séjours en milieu professionnel “acquièrent une capacité de dialogue avec des professionnels pour que ces périodes soient valorisées dans le parcours de formation“. Cet ensemble d’activités induit une approche “intégrative“ des formations en alternance, “qui bat en brèche la représentation commune d’une juxtaposition de deux temps séparés, l’un centré sur l’apprentissage de la théorie ‘à l’école‘ et l’autre centré sur l’apprentissage pratique réalisé sur le lieu de travail.“

Faire cohabiter deux modèles

Pour le chercheur, si le modèle séquentiel reste pertinent, “il doit connaître une nécessaire adaptation, liée au fait qu’il ne s’adresse plus au seul public de la formation initiale, mais de plus en plus à une mixité de publics dotés de statuts et d’âges différents (élèves, stagiaires, apprentis, adultes en promotion ou en reconversion, etc.)“ En outre, un des enjeux majeurs pour offrir à tous ces individus (et notamment aux moins qualifiés d’entre eux) un cadre adapté à la transférabilité de leurs compétences sur le marché du travail “réside dans la convergence des ingénieries de certifications, encore trop cloisonnées aujourd’hui entre les différents ministères ‘certificateurs‘ et les branches professionnelles.“

La capacité à faire système du modèle partenarial a quant à elle “longtemps buté sur la difficulté de la société française à reconnaître comme légitime que l’école puisse durablement ‘co-éduquer avec l’entreprise‘, au contraire de ce qui se passe en Allemagne“. Par ailleurs, ajoute-t-il, la légitimité d’une approche partenariale “a été mise en doute par les choix unilatéraux d’entrepreneurs de s’investir dans la formation des jeunes, en arguant de l’incapacité de l’État à remplir sa mission d’éducation.“

Au final, “de plus en plus d’entreprises seront confrontées à l’adaptation structurelle de leur organisation du travail, notamment à travers des fonctions de tuteurs dédiés à l’accompagnement des publics de stagiaires ou d’apprentis“, estime Damien Brochier et elles auront “à multiplier les interactions avec des acteurs éducatifs pour garantir les conditions d’une reconnaissance publique des certifications préparées.“ Il considère que les débats en cours sur l’évolution de la voie professionnelle et sur la gestion de l’accroissement considérable des effectifs d’apprentis, constituent “des opportunités cruciales pour l’ancrage durable de cette approche partenariale“, qu'il souhaite voir développée “sans renoncer à la nécessité de maintenir de solides repères collectifs nationaux à travers les certifications“.

Le bref n°436 ici

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