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signalement

Paru dans Petite enfance, Justice le vendredi 15 octobre 2010.

Les professionnels doivent -ils tout signaler, et dans quelles circonstances? Signaler est-ce nécessairement protéger l'enfant? Comment les acteurs de l'aide sociale, de la justice et de la santé mentale peuvent -ils travailler de concert? Elaborée au terme d’une très large concertation, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance poursuit trois objectifs : renforcer la prévention, améliorer le dispositif d’alerte et de signalement, diversifier les modes d’intervention auprès des enfants et de leur famille. Elle affiche également l'objectif de pallier certains défauts d’organisation, mis en lumière par des affaires dramatiques: défaut de concertation des différents acteurs locaux, faiblesse de l’évaluation des prises en charge etc… Elle affirme, enfin, un objectif commun à tous les professionnels: l’intérêt de l’enfant.
Comment cette loi s'applique t-elle sur le terrain? Juge des enfants, travailleurs sociaux et psychiatres débattaient ensemble, vendredi 15 octobre, sur les présupposés et les limites de cette loi, au cours d'un colloque qui se tenait à Issy-Les-Moulineaux et intitulé "Le signalement: avant, pendant et après?" (L'annonce et le programme de la manifestation ici).

Les effets de la décentralisation. "La loi de 2007 fixe une ligne de partage entre protection administrative et protection judiciaire. Elle valorise le rôle du Conseil Général, en donnant la priorité à l'action sociale, et en impliquant autant que possible les familles", a déclaré Michel Brunet, adjoint à l'Aide Sociale à l'Enfance du Plessis Robinson. L’amélioration du dispositif d’alerte et de signalement prend appui, depuis 2007, sur la création, dans chaque département, d’une cellule chargée du recueil, du traitement et de l’évaluation des informations préoccupantes ou qui risquent de l’être. Le rôle clef du président du conseil général dans l’organisation et l’animation de cette cellule est affirmé.

Quelle coordination des acteurs? "Il revient à chacun de réfléchir, débattre, explorer sa posture professionnelle, pour la faire évoluer", selon Michel Brunet. En Hauts-de-Seine, la cellule départementale chargée du recueil, du traitement et de l’évaluation des informations préoccupantes s'organise en 9 sections: 1 section centrale et 8 sections territoriales. "Cette organisation exige qu'un protocole soit élaboré. Sur le département, celui-ci a été cosigné avec la justice et l'Education nationale en 2009". Afin de mieux coordonner protection judiciaire et protection sociale, la loi fixe les critères précis de saisine de l’autorité judiciaire.

Quand saisir la justice? Lorsqu’un mineur est en danger, le président du conseil général doit saisir sans délai le procureur de la République dans les trois cas suivants : lorsque les actions menées dans le cadre de la protection sociale n’ont pas permis de remédier à la situation de danger, lorsque la famille refuse d’accepter l’intervention du service de l’ASE ou est dans l’impossibilité de collaborer avec ce service, enfin quand il est impossible d’évaluer la situation alors que le mineur est présumé être en danger.

Pour Thierry Baranger,  le critère de saisine de l’autorité judiciaire serait "trop sujet à interprétation" et polémique: "Depuis la loi de 2007, le critère d'intervention est la question de la contractualisation entre les institutions et les familles, a t-il résumé. La loi consacre la recherche de l'adhésion des familles. C'est oublier que le cadre d'intervention des services est contraignant. Ce paradoxe entre contractualisation et contrainte mériterait d'être mieux débattu. L'absence d'adhésion de la famille peut-elle justifier une intervention? L'adhésion de la famille, peut-elle, inversement, suffire à faire disparaitre le danger?"

La question du secret professionnel. La confidentialité des données reste un enjeu majeur. "Comment transmettre l'information et garantir leur confidentialité aux familles?", s'est inquiété Michel Brunet, jugeant ces deux exigences "peu compatibles". "Cette loi de 2007, véritable aboutissement de la loi de décentralisation de 1986, pose la question du partage d'information", a estimé pour sa part Thierry Baranger, président du tribunal pour enfants de Nanterre.

Une négation artificielle des identités professionnelles? Dernier interlocuteur de la matinée, Franck Chaumon, praticien hospitalier à Evry et psychanalyste, s'est montré sceptique sur le sens de la loi de 2007. Pour le praticien, les dernières lois visent spécifiquement la coordination entre les corps professionnels et les institutions pour la mise en œuvre de la protection de l'enfance. Il s'est livré à un éloge de la distinction, jugeant qu'il serait "intéressant qu'on organise les disputes entre les différents corps professionnels": "C'est encore la meilleure protection démocratique. Il faut faire confiance à la pratique de chacun et aux aspérités nécessaires qui surgissent du fait qu'on n'est pas tous à la même place. La vérité juridique n'est pas la même que la vérité psychanalytique; La vérité du juge d'instruction n'est pas celle du juge des enfants".  Le praticien a rappelé que jusqu'en 1993, les crimes sexuels sur mineurs (notamment les viols) n'existaient pas juridiquement. "Donc ce qui existait en psychanalyse n'existait pas au niveau juridique".

Il a redéfini la particularité de l'acte de psychanalyse: prendre acte de la parole de l'enfant. "Comment faire pour que les actes de parole que nous recueillons dans notre registre passent à un autre registre, sur un autre titre: celui de la justice? La parole n'est pas dissociable de son lieu d'adresse. Il ne peut également y avoir des messages dissociables de leurs contextes".

L'idée prédominante aujourd'hui, serait, selon lui, celle selon laquelle le plus opérant serait de favoriser le partage, le consensus, la transparence entre les institutions. "L'enjeu semble être de créer un réseau au sein duquel les discours, les pratiques seraient communes et l'intérêt de l'enfant, l'objectif final. En un mot, il faudrait faire en sorte qu'il n'y ait plus de différences entre les professions. Voilà une fiction qu'on n'est pas obligé de partager". Le praticien a alerté sur le présupposé d'un objectif commun à tous les professionnels: "Je ne crois pas que la notion de bien de l'enfant soit dissociable d'un climat général instauré sur l'enfance, qui fait de l'enfant et de sa santé un bien commun. La loi de 2007 n'est pas étrangère à l'idée de sécurité, de surveillance, d'une vision de l'Homme comme capital humain. On ne peut ignorer à quel point une certaine idée de l'enfance participe d'une certaine vision du monde".

 

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