“Sanctionner le geste, accompagner l'humain“, ou le quotidien des éducateurs de la PJJ en foyer (ouvrage)
Paru dans Justice le mercredi 01 mars 2023.
“Dans le mélodrame tragi-comique se jouant dans l'antre d'un foyer PJJ, chacun est le personnage cabossé et terriblement attendrissant d'une cour des miracles où s'entremêlent suppliques et confessions, psaumes et fulgurances“, analyse Sophie Moreau dans un ouvrage dédié au métier d'éducateur.rice.
L'auteure raconte, à travers des scènes quotidiennes vécues au sein du foyer de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) où elle officie, “théâtre de tous les drames silencieux ou orchestrés“, son “obsédante obsession“ de rendre justice.
Elle constate que la majorité des jeunes placés “est issue de familles ayant éclaté en plein vol, et ils ont pour la plupart grandi dans des familles monoparentales“, c'est pourquoi “leur avenir semble parfois hypothéqué par la faillite parentale“.
Dès lors, pour l'éducateur tout est matière, information, il “s'entête à définir et à construire avec le môme le projet le plus adapté possible, après l'avoir longuement observé“, poursuit-elle. “Nous devons leur montrer que la construction d'une vie stable, et à l'opposé de ce qu'ils ont connu, n'est pas une chimère."
Il est également question pour l'éducateur de “rééduque(r) à la maîtrise de certaines pulsions primaires afin que ces adolescents comprennent qu'ils doivent les réprimer dans certains contextes sociaux. Et il rappelle les interdits fondamentaux structurant la vie en société.“
Sophie Moreau estime que ces jeunes “ne peuvent pas toujours assumer qui ils sont, au fond. Le foyer permet parfois quelques révélations déculpabilisantes à la faveur des discussions questionnant leur essence derrière les discours“. En effet, précise-t-elle, “les faits de mœurs, de l'agression sexuelle intrafamiliale à la tentative de viol sont nombreux à la PJJ.“
Face à ces “enfances sans parents, ou avec des parents défaillants et instables“, le foyer est “un plateau quotidien permettant à ces mômes de rejouer, à leur insu, leurs problématiques personnelles et les raisons de leur mise en examen“. Y sont accueillis “des mômes en bout de course comme un service de soins palliatifs accueille des patients en phase terminale“, aussi pour les accompagner, “peut-être faut-il partager un même sentiment de révolte“, d'autant que le métier d'éducateur ne peut selon l'auteure pas être choisi par défaut, “il n'a rien d'alimentaire tant il est susceptible de dessécher celui qui l'exerce".
Toujours au quotidien, on retrouve les demandes de placement, les fugues qui peuvent-être “propices à tous les fantasmes“, ou le travail de nuit qui consiste parfois à “ouvrir, fermer la chambre de façon mécanique, tels les surveillants de prison ouvrent et ferment les cellules sans même y penser.“
“Sanctionner le geste, accompagner l'humain“. Elle témoigne encore de la tension qui résulte du travail à accomplir pour l'éducateur, entre présomption d'innocence, prévention de la récidive et "élaboration autour des faits pour lesquels le môme a été mis en examen".
Bien qu' “aucune mise en examen (ne soit) le fruit du hasard“, il faut les “préparer à toutes les éventualités dans leur parcours judiciaire“, c'est pourquoi “l'audience de jugement, crash test du travail éducatif, cristallise la difficulté de notre fonction.“
Avec la réforme de la justice des mineurs en effet, le temps de mise à l'épreuve éducative est désormais fixé à neuf mois entre l'audience initiale (jugement sur la culpabilité) et l'audience statuant sur la peine. Sophie Moreau considère que cette réforme va bousculer la pratique des éducateurs, en ce qu'elle permettra d'accélérer les procédures. Au lieu d'avoir des alternatives à l'incarcération, seront proposés des aménagements de peine, et l'éducateur passera d'une aide à la décision à une aide à la sanction. Mais pourra-t-il gérer ces deux temporalités (éducative et judiciaire) parallèles et complémentaires ?
Sophie Moreau, Educ, un métier sur le fil du rasoir, éditions Eres, 264p., 23€