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Quels sont les effets du passage à la majorité chez les jeunes incarcérés (INJEP)

Paru dans Justice le mardi 16 mai 2023.

Pour les jeunes qui entrent dans la vie adulte, “la détention vient mettre un frein au processus d’autonomisation et d’indépendance économique vis-a-vis de leur famille“ analyse l'INJEP dans une note publiée le 16 mai.

L'étude de Yaëlle Amsellem-Mainguy et Isabelle Lacroix porte sur les quelque 600 jeunes (598 en 2021) qui , chaque année, deviennent majeurs en prison, et montre que ceux-ci ont majoritairement eu des “vies antérieures difficiles“, avec des trajectoires “marquées par des responsabilités précoces de la vie adulte“.

En effet, quatre sur dix jeunes incarcérés déclarent avoir décohabité du foyer parental ou de l’institution de placement (ASE ou PJJ) dès leurs 14-15 ans. Beaucoup d'entre eux font alors état d'une “grande précarité résidentielle“, faite pour certains d'hébergement chez des amis, à l’hôtel, dans des locations temporaires, d'aller-retours au sein du foyer familial ou en institution, et ont même parfois vécu à la rue. Dès lors, la période entre l’enfance et l’âge adulte se trouve “relativement courte au regard des expériences plus progressives de la grande majorité des ‘autres‘ jeunes“ avec, par exemple, près de la moitié des jeunes rencontrés qui ont arrêté leur scolarité avant 15 ans, et un tiers qui se déclare indépendant économiquement (au moins partiellement) depuis cet âge.

De la préparation à l'information

La question des connaissances sur le passage en prison pour majeurs est pour les auteurs fondamentale. Dans leur grande majorité, écrivent-elles, les jeunes de 18-23 ans rencontrés (qui ont connu la détention en tant que mineurs) “déclarent ne pas avoir eu d’informations spécifiques sur les conditions et conséquences du passage à 18 ans en prison, mais aussi plus largement dans la vie hors prison“.

C'est pourquoi est notée une rupture “parfois brutale, et plus encore pour ceux n’ayant pas un entourage familial soutenant“, du fait que le passage en prison pour adulte “implique la fin de la prise en charge assurée par la PJJ, et donc la fin du lien avec des éducateurs, l’arrêt d’éventuels projets éducatifs commencés, et la diminution du nombre d’activités.“

Ainsi certains jeunes “dorment peu, se disent ‘inquiets‘, tracassés‘, ‘angoissés‘ du changement de prison. Ils appréhendent la prison pour majeurs comme un lieu où s’exerceraient davantage de violences lors des promenades en raison du nombre de détenus présents, de l’âge et des peines des autres détenus.“ D'autres sont en revanche, “en attente“ d’aller chez les adultes, à savoir ceux qui disposent d’une partie des “codes de la prison“. Il s’agit “de jeunes femmes et jeunes hommes dont les proches ont connu la prison (enfant, ils ont parfois été voir un de leurs parents au parloir par exemple), ce qui leur donne une connaissance des spécificités des prisons pour majeurs. Également plus souvent inscrits dans des sociabilités de quartiers, leurs réseaux relationnels pré-carcéraux au sein de la détention agissent comme un continuum entre la prison et l’extérieur, ils savent qu’ils retrouveront en partie ‘des gens de leur quartier‘, ‘de chez [eux]‘“.

Age et rapport au temps

Tous les jeunes consultés, peut-on également lire, “pointent la prison comme un espace marqué par une altération du rapport au temps“. Leurs manières de percevoir et de vivre le temps “sont modifiées parce qu’ils n’en ont pas la maîtrise et que les journées leur semblent longues“, une situation “d’autant plus marquée pour les jeunes passés par la détention lorsqu’ils étaient mineurs avant d’être transférés à 18 ans en prison pour adultes.“

Yaëlle Amsellem-Mainguy et Isabelle Lacroix estiment que la prison “impose les heures et la composition des repas, et contribue à replacer ces jeunes en situation de contrôle permanent de leurs activités“. De plus, ces jeunes femmes et jeunes hommes “(re)deviennent dépendants économiquement de leur entourage (parents, réseau amical) ou à défaut de l’institution pour les plus démunis“.

Leurs témoignages montrent qu'ils opèrent une “distinction nette entre les conditions de détention des mineurs et celles des majeurs pour qui le partage de la cellule avec un ‘codétenu‘ est la règle (à deux la plupart du temps pour les jeunes majeurs), où il y a moins d’activités et où l’accès aux douches est variable (a minima trois fois par semaine, tandis qu’elle est quotidienne pour les mineurs, y compris dans les maisons d’arrêt ne disposant pas de douche en cellule).“ Ils notent encore les problématiques d'encellulement individuel, d'obligation scolaire ou encore concernant “les promenades plus longues et en petits groupes et la plus grande fréquence possible de parloirs“.

Au final, “la prison pour mineurs réassigne ces jeunes au statut d’enfant tandis qu’ils avaient souvent déjà l’habitude de ‘[se] débrouiller seuls‘, d’être sujets de leur propre vie. En effet, à partir du déferrement, voire dès la garde à vue, leurs parents sont réintégrés au processus de suivi institutionnel et les éducateurs PJJ deviennent incontournables.“

Transfert

Les auteures ont enfin constaté que les jeunes détenus interrogés “ignorent le plus souvent la date exacte de leur transfert“, ce qui génère une période d’incertitude “anxiogène“ qui “contribue à la dépossession du temps par les individus, rappelant la privation de liberté“. Elles ajoutent que certains n'apprendront leur transfert seulement “quelques heures avant qu’il ait lieu, leurs parents étant informés dans le même temps par l’administration“ et que la prison d’affectation “sera, quant à elle, connue au cours du transfert, voire à l’arrivée.“

En outre, avec le transfert la protection judiciaire de la jeunesse “disparaît“, et avec elle, un certain nombre d’accès aux informations et aux droits. Désormais, les jeunes doivent s’astreindre à des “requêtes“ écrites pour l’ensemble de leurs démarches et demandes, or “la fin de l’oralité et de l’échange direct avec les professionnels crée une mise à distance entre les jeunes et l’institution et un sentiment d’exclusion renforcé par la méconnaissance du fonctionnement“. Un élément “d’autant plus fort pour les jeunes les plus en difficulté avec la lecture et l’écriture et avec la langue française“, qui deviennent “dépendants du bon vouloir de leur codétenu s’il détient ces capitaux.“

La note de l'INJEP ici

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