Jurisprudence

Un enseignant bouscule un élève insolent : comment mesurer la gravité de la faute ? L'analyse d'A. Legrand d'une décision du Conseil d'Etat

Paru dans Scolaire, Orientation le dimanche 21 mai 2023.

Il arrive fréquemment que des élèves aient en classe une attitude insupportable. Et il arrive parfois que cette attitude déclenche une réaction d’impatience de la part de l’enseignant. Mais jusqu’où peut aller cette réaction pour rester dans les limites de la légalité ? C’est la question qui était au centre d’un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 16 mai 2023, éclairé par les conclusions du rapporteur public Jean-François de Montgolfier, parues sur ArianeWeb.

Un formateur exerçait ses fonctions depuis 25 ans au CFA d’Amboise géré par l’association régionale pour la promotion de la métallurgie (PROMETA). En avril 2018, il s’est retrouvé face à un élève qui passait son heure de cours à consulter son téléphone portable et a persisté dans cette attitude malgré plusieurs rappels à l’ordre du formateur. Le formateur a fini par demander que le téléphone lui soit remis et, perdant patience devant le refus de l’élève, il a saisi ce dernier par le col de la veste pour le lui prendre, lui occasionnant quelques hématomes dans le cou et lui a asséné une forte claque au thorax. Suite à l’intervention d’un autre élève, le calme est revenu, le cours a repris et le téléphone a été rendu à la fin du cours.

La mère de l’élève a porté plainte au nom de son fils mineur, mais sa plainte a finalement été classée sans suite. Entre temps, la direction du CFA a mis le formateur à pied et lui a annoncé son intention de le licencier. Comme l’intéressé venait d’être élu délégué suppléant au CSE du centre, c’est la procédure dérogatoire fixée pour le licenciement des salariés protégés qui a été appliquée. Cette procédure exige, on le sait une autorisation préalable de licenciement donnée par l’inspecteur du travail. Refusée par ce dernier, l’autorisation a fini par être donnée en appel par le ministre du Travail. Mais la décision de licenciement prise par la direction du CFA a été annulée par le TA d’Orléans, annulation confirmée en appel par la CAA de Nantes. L’association PROMETA s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat en demandant l’annulation de l’arrêt de la CAA. 

Le Conseil d’Etat rejette son recours, en reprenant pour l’essentiel l’argumentation de la Cour. Le caractère fautif du comportement du formateur n’était contesté par personne, y compris l’intéressé. L’objet du débat portait sur le point de savoir si les faits reprochés étaient d’une gravité suffisante pour justifier une sanction aussi lourde que le licenciement : c’était donc sur la proportionnalité entre les faits invoqués et la sanction prononcée que portait la discussion.

S’alignant sur la position de la CAA, le Conseil d’Etat répond de manière négative à cette question : les agissements de l’enseignant avaient répondu à une attitude provocatrice et insolente de l’élève ; ils s’inscrivaient dans le cadre de tensions vives constatées dans l’établissement entre les formateurs et les apprentis ; la demande qu’avait formulée le formateur lors de deux entretiens d’évaluation antérieurs de suivre une formation à la gestion des rapports conflictuels est restée sans réponse de l’employeur et, enfin, en 25 ans de carrière, l’intéressé n’a fait l’objet d’aucune sanction et ne s’est jamais vu reprocher des faits de même nature que ceux en litige. "La Cour, conclut le Conseil n’a pas incorrectement qualifié les faits qui lui étaient soumis" et le recours de PROMETA doit être rejeté.

Il est cependant dommage que l’arrêt, tout d’une pièce, ne fasse aucune place au débat très intéressant qui occupe une bonne partie des conclusions du rapporteur public. Même s’il aboutit en définitive à proposer la même solution que celle retenue par l’arrêt, ce dernier estimait nécessaire une analyse plus subtile et nuancée que celle à laquelle la CAA s’était livrée et il proposait d’opérer des distinctions entre les motifs sur lesquels la décision devait être fondée. "Les faits ont été commis par un enseignants devant ses élèves et on doit s’interroger  sur la question de savoir si la CAA a exactement pris en considération le 'devoir  d’exemplarité inhérent à la fonction d’enseignant' sur lequel le ministre du Travail s’est  fondé pour autoriser le licenciement au motif qu’un tel devoir interdit notamment toute  violence dans la relation avec un élève." Car rappelait-il, les enseignants constituent une des catégories pour lesquelles la jurisprudence exige un devoir "d’exemplarité et d’irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs".  

"Parmi les éléments pris en considération par la CAA pour juger que la faute n’était pas d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement, tous ne nous semblent pas adaptés pour un acte de violence commis par un enseignant en classe sur un élève. Il en va en particulier de la circonstance que certains apprentis du CFA ont un rapport à l’autorité et au travail qui laisse à  désirer, ou de l’insolence provocatrice de l’élève concerné (les pièces du dossier révèlent d’ailleurs que cet élève en était coutumier et que les enseignants le savaient) ou encore de  l’ancienneté de l’enseignant. C’est la responsabilité même des enseignants – dure responsabilité et sans doute parfois épuisante certes – que de savoir répondre à la provocation de grands adolescents sans céder à la violence. La circonstance que l’enseignant n’avait pas suivi de formation sur le sujet ne paraît pas davantage de nature à alléger le grief."

En revanche, le caractère isolé de l’incident, sa faible durée, l’absence de conséquences physiques, le fait que l’enseignant n’a jamais fait l’objet de reproches et a marqué la pleine conscience de sa faute constituaient des circonstances atténuantes et plaidaient, ajoute le rapporteur public, en faveur de l’appréciation de la CAA selon laquelle "la gravité de l’agissement reproché n’était pas telle qu’elle interdirait toute forme de clémence" et que, dans la panoplie des sanctions à sa disposition, l’administration devait choisir une mesure plus douce qu’un brutal licenciement.

En reprenant en bloc l’ensemble des arguments de la CAA pour confirmer l’annulation du licenciement, l’arrêt rendu écarte toute discussion sur ces arguments nuancés. Je persiste à croire que cela est dommage pour l’analyste.



« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →