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Portrait d'un jeune franco-algérien d'aujourd'hui, l'acteur Rabah Naït Oufella, révélé par "Entre les murs"

Paru dans Culture le vendredi 03 février 2023.

Du jeune collégien dans le film Entre les Murs de Laurent Cantet, Palme d’or à Cannes en 2008, au rôle principal dans Arhur Rambo (2021), du même réalisateur en passant par Nocturama de Bertrand Bonello, Rabah Naït Oufella, un acteur franco-algérien, né et grandi dans le 20ème arrondissement de Paris, dans une famille immigrée, est, aujourd’hui, membre du Jury du festival international du court métrage de Clermont-Ferrand. L'occasion, à travers un parcours de réussite, de faire le portrait d'un jeune aujourd'hui.

ToutEduc : L’école de la République permet-elle de sortir du déterminisme social ?

Rabah Naït Oufella : On ne réussit pas de la même manière… Il y a des efforts personnels à faire pour surmonter les difficultés liées à la classe sociale. Avoir conscience des inégalités, oui. Mais il ne faut pas qu'elles nous dépassent. Il faut se mettre dans l’idée qu’il va falloir travailler deux fois plus que les autres pour arriver à ses fins... J'ai eu la chance d'être au bon endroit. J'ai eu des ensignants qui m'ont beaucoup poussé et qui m'ont aidé. Si on est passionné et aidé, on peut faire de grandes choses.

ToutEduc : Vous êtes acteur, comment êtes-vous entré dans le métier ?

Rabah Naït Oufella : Je suis conscient d'être un privilégié. Quand j'étais plus jeune, on m'a proposé de jouer dans Entre les Murs. Je me suis posé des questions, je me suis dit : pourquoi nous ? Pourquoi on viendrait nous chercher pour faire un film, nous qui sommes dans un collège de zone d'éducation prioritaire, nous qui sommes toujours des laissés pour compte ? On va nous appeler aujourd'hui et nous proposer de faire un film et on va passer au cinéma... J'y croyais très moyennement. Donc par pessimisme, j'ai refusé de faire ce film parce que le tournage était en été et qu'en été, moi, je vais en vacances, en Kabylie (Rire). Et honnêtement, à aucun moment je n'aurais pu imaginer que le film allait sortir au cinéma et qu'il allait avoir du succès, qu'il allait être salué par la critique. Et surtout que j'allais en faire mon métier. D'ailleurs, j'ai pris du temps, avant de me l'avouer, même après avoir fait plusieurs films. J'étais toujours dans l'optique où je me disais, bon, c'est encore cool qu'on me propose encore un film de plus, donc je ne veux pas cracher dans la soupe, je vais le faire et c'est un plaisir à prendre jusqu'à ce que ça s'arrête. Et, à côté, je travaillais en cuisine, dans des restaurants, dans des bars. Et quand on me proposait un rôle, j'acceptais. Cela a duré 10 ans, avant de me dire, bon, peut-être qu'il va falloir se battre dans ce milieu et travailler sérieusement. Je pense que je suis né sous une bonne étoile (Rire).

ToutEduc : Vous vouliez être rapeur, comme tous les jeunes du quartier ?

Rabah Naït Oufella : J'ai commencé plus tôt que les jeunes du quartier justement. J'écoutais beaucoup de rap, très jeune, dans les centres de loisirs, par exemple. Par passion et, à force, ça a commencé à devenir sérieux. J'ai côtoyé les studios d'enregistrement, les rappeurs du moment, j'ai rencontré mes vedettes avec qui j'ai pu même faire des morceaux, c'était un peu un rêve que j'ai accompli, avant de me poser la question de savoir si je voulais en faire mon métier. La réponse m'est venue comme une évidence. Non. En tout cas, j'en garde un très bon souvenir.

ToutEduc : Le cinéma pour sortir d'une condition sociale ?

Rabah Naït Oufella : Oui, parce qu'il faut faire des choix dans la vie. Des concessions aussi. Il y a des longues périodes de ma carrière où je n'ai pas tourné. Je n'ai pas baigné dans ce milieu du cinéma, pour avoir toutes les armes. Mais j'ai toujours eu une fibre artistique. Dans ma famille, on écoute beaucoup de musique. Depuis tout petit, cela me passionne. J'ai commencé très jeune à écouter de la musique, du rap mais surtout des chansons kabyles qui m'animent toujours. J'ai toujours des émotions très fortes en écoutant certaines vieilles chansons kabyles. Et ça, c'est du domaine artistique. A partir du moment où l'on peut être touché par une œuvre, je pense qu'on a cette fibre, cette passion pour l'art. Aussi, quand j'étais plus jeune, un peu moins curieux qu'aujourd'hui, je faisais l'effort d'aller voir un film et ça été toujours un vrai moment de bonheur.

ToutEduc : Qu'est-ce que pour vous être jeune en France, aujourd'hui ?

Rabah Naït Oufella : Quelque chose d'extraordinaire. On est quand même dans un pays où il y a pas mal d'ouvertures. Le plus important, c'est d'être curieux, de ne pas avoir peur, de foncer, de ne pas avoir peur de tomber parce que c'est en tombant qu'on reprend de la hauteur. Des opportunités existent.

ToutEduc : Et qu'est-ce qu'être jeune Français, issu de l'immigration ?

Rabah Naït Oufella : Eh bien, c'est partir avec un boulet à la cheville (Rire). C'est de devoir courir plus vite que les autres pour arriver au même stade, au même endroit. Certes, c'est un problème mais qui peut devenir une force, parce que quand on a l'habitude de travailler plus que les autres, ça peut être bénéfique. D’ailleurs, j'ai souvent été pessimiste dans ce que je faisais. Par exemple, au début de ma carrière, même après une dizaine de films, je ne me considérais pas comme acteur.

ToutEduc : Pourquoi?

Rabah Naït Oufella : Peut-être parce que je me protégeais. Je n'ai jamais voulu y croire. Il y avait une sorte d'appréhension de ne pas être accepté. Cette appréhension m'a causé du tort. C’est aussi à cause de ce que je voyais autour de moi. Je n'ai pas envie d'accuser bêtement la société. Mais ce que j’observe m’irrite. Je me rends compte qu'on n’est pas tous logés à la même enseigne. Même aujourd’hui, par exemple, je me fais contrôler plusieurs fois par mois par la police. C'est quelque chose que d’autres citoyens français ne connaissent pas. Ce qui peut paraître drôle, à mes débuts dans le cinéma, pas encore identifié par le milieu, à chaque fois que je me retrouvais dans des soirées, j'avais l'impression de ne pas être à ma place. D’ailleurs, pour l'anecdote, je me suis quand même fait recaler de certaines soirées où j’étais pourtant invité. Et quand je raconte ça à d'autres personnes, ils ne comprennent pas parce qu’ils ne vivent pas les mêmes situations. Des petites anecdotes sur lesquelles bien sûr, il ne faut pas s'arrêter, parce que ce n'est pas une généralité. Mais c'est ce qui peut, en tout cas, engendrer des frustrations.

ToutEduc : Comment choisissez-vous vos rôles ?

Rabah Naït Oufella : A l'instinct… Quand j'ai démarré ma carrière, dépourvu de codes, je parlais beaucoup avec mon agent et je demandais beaucoup de conseils. Mais un jour, je reçois un scénario, comme d’habitude, je demande des conseils et mon agent me dit : “C’est toi qui va jouer dans ce film. Maintenant, c’est toi qui penses." A ce moment-là, j'ai eu un déclic. Par exemple, aujourd'hui, je fais partie d'un jury, quelque chose que j'aurais été incapable de faire il y a quelques années. Je pense qu'il ne faut pas se sous-estimer.

ToutEduc : Certains films peuvent être discriminatoires…

Rabah Naït Oufella : Je pense qu'il faut en parler ; il faut en parler pour qu'on arrête enfin d'en parler. Je pense qu’il y a des films qui sont maladroits, des films nuls, des films ratés comme il y a des films réussis… Cette catégorie de films qui sont discriminants existe. Mais, à force de les pointer du doigt, on met la lumière sur eux ; on en parle et on les crédibilise. Personnellement, je ne choisis pas un nom mais un scénario. Que le personnage s’appelle Pierre, Paul, Jacques, Ibrahim ou autres, cela m’importe peu à partir du moment où le rôle me plaît. C'est le rôle qui m'interroge, m'intéresse.

 

Propos recueillis par Rabah Aït Oufella (sans aucun lien de parenté)

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