Archives » Revue de la presse et des sites

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Mettre de la pédagogie dans les programmes pour déconstruire leurs présupposés idéologiques ? (revue N’Autre école)

Paru dans Scolaire le mardi 11 juin 2019.

"Demander le programme ?", tel est le titre du numéro 12 Printemps Eté 2019 de N’Autre école (ici), revue du site "Questions de classe(s)" (ici). Le propos introductif insiste : les programmes sont rassurants dans la mesure où ils sont source de sécurité face aux élèves. Et ce, parce qu’ils sont le moyen de s’assurer que tous les élèves apprennent la même chose et garantissent donc une certaine égalité en jouant le rôle de garde-fou. Et ce sont les enseignants qui sont en demande de prescriptions et qui réclament un fort cadrage. En outre, les programmes peuvent permettre de penser une cohérence d’ensemble, de donner des points de repère, de définir une culture commune.

Pourtant, continue l’introduction, si l’on se place du point de vue d’une éducation émancipatrice, si l’on souhaite que les apprenants prennent conscience des enjeux qu’ils recouvrent, les programmes doivent être non seulement interprétés mais aussi critiqués autant pour ce qu’ils disent que pour ce qu’ils taisent ou dissimulent : mettre de la pédagogie dans les programmes, ne serait-ce pas finalement déconstruire leurs présupposés idéologiques ?

Ainsi, comme l’explique la sociologue et philosophe Irène Pereira, auteur d’un des articles de la revue, interpréter radicalement les programmes, c’est ce que proposent les tenants de la "socio-éthique professionnelle", dans la continuité de l’œuvre du brésilien Paulo Freire qui disait : "L’éthique dont je parle est celle qui se sait confrontée aux manifestations discriminatoires […] C’est pour cette éthique inséparable de la pratique éducative […] que nous devons lutter." La socio-éthique respecte le cadre déontologique, juridique, qui incombe à l’enseignant mais elle considère que l’institution scolaire publique est un espace ambivalent. Son état à un moment donné de l’histoire est la matérialisation d’un équilibre dans un rapport de force social. L’institution scolaire soumet l’enseignant à des injonctions multiples et contradictoires dans ses orientations. L’éthique professionnelle est rendue nécessaire car il appartient alors à l’enseignant, au sein de ce cadre juridique, de hiérarchiser ses priorités.

De fait, la socio-éthique professionnelle, approche qui croise donc cette prise en compte du cadre déontologique, juridique, avec l’analyse sociologique des situations professionnelles et la réflexion éthique, en particulier pour déterminer les pratiques pédagogiques, se retrouve à mettre en avant plus spécifiquement certains aspects de ce cadre juridique auquel sont soumis les enseignants. A partir, par exemple, de l’ «enseignement moral et civique-EMC-" à l’école élémentaire, le professeur peut consacrer une part importante de cet enseignement à la lutte contre les discriminations, leur liste n’en étant pas limitative. Toujours à partir de l’EMC, les enseignants peuvent aussi étudier les déclarations concernant les Droits de l’Homme ou celle portant sur les Droits de l’Enfant. Tout cela constitue une composante importante de la "pédagogie critique" à laquelle Paulo Freire a attaché son nom. C’est Danièle Lochak qui est citée à ce propos : «[La pédagogie critique] défend l’idée que la pédagogie peut être par elle-même un instrument de libération, un chemin vers la liberté, à la fois parce que l’accès à la culture favorise l’émancipation et parce qu’elle rend les gens conscients de leur oppression […] On peut faire valoir que la prise de conscience de ce que des droits proclamés comme universels ne sont pas respectés favorise à son tour la prise de conscience de l’injustice sociale, incitant à se mobiliser et à refuser la fatalité de la pauvreté et des discriminations."

Les activités qui sont menées en EMC peuvent être la base d’un travail qui irradie sur l’ensemble des autres disciplines scolaires et qui serait le projet qui donne une unité à toute l’année scolaire : littérature jeunesse sur les discriminations, mathématiques et sciences en lien avec l’éducation au développement durable, arts plastiques avec des affiches de sensibilisation, histoire et géographie sociale en partant de l’histoire des inégalités sociales et des luttes contre les discriminations... La même démarche peut être adoptée dans l’enseignement secondaire à l’égard des différentes disciplines en s’interrogeant à chaque fois sur comment le cadre des programmes peut être "interprété de la manière la plus radicale possible" en relation avec des finalités socio-éthiques.

Quels que soient les programmes aujourd’hui, la socio-éthique des enseignants met en lumière qu’il peut y avoir une certaine "mauvaise foi" de l’enseignant au sens que Sartre donne à cette notion : à savoir nier sa propre liberté. Pour Jean-Paul Sartre, comme pour Paulo Freire, la liberté est toujours en situation. Cela veut dire qu’il y a toujours un cadre à la liberté. Mais la manière d’interpréter ce cadre et les choix pédagogiques donnent une marge de liberté. Un professeur peut très bien choisir dans le cadre actuel de l’éducation nationale d’orienter son enseignement en accord avec un principe général qui serait "éduquer à l’esprit d’entreprise" ou en accord avec un autre principe général qui serait "éduquer aux droits humains et au refus de toutes les discriminations".

Arnold Bac

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →