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Prise en charge des mineurs non accompagnés : le Conseil d'Etat précise les règles (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Périscolaire, Justice, Orientation le lundi 06 mars 2023.

Une ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat en date du 20 février 2023 analyse une nouvelle affaire de mineur étranger isolé. En février 2023, un mineur de nationalité ivoirienne, indiquant être né fin décembre 2006, a saisi le juge des référés du TA de Nîmes, en lui demandant d’enjoindre au département du Gard de poursuivre son accueil au titre de l’aide à l’enfance et de pourvoir à ses besoins essentiels jusqu’à sa majorité. Le département avait effectivement refusé de poursuivre la prise en charge au titre de l’aide à l’enfance au motif que la minorité du requérant n’était pas caractérisée. Et le juge des référés du TA avait rejeté la demande de celui-ci. A cette occasion, appliquant une jurisprudence qu’il a utilisée dans plusieurs affairez depuis son arrêt de principe du 1er juillet 3025, le juge va faire application de l’exception de recours parallèle pour régler les problèmes nés de la coexistence des compétences entre l’autorité administrative de police et le juge des enfants qui relève de l’autorité judiciaire.

La décision de refus de prise en charge ou de fin de prise en charge émanant du Président du Conseil Départemental est une décision administrative, qui relève à ce titre de la compétence de la juridiction administrative. Mais, dans son arrêt précité du 1er juillet 2015, le Conseil d’État a déclaré incompétent le juge administratif pour examiner le refus du Conseil départemental d’admettre un mineur isolé étranger à l’aide sociale à l’enfance au motif qu’il existait une voie de recours parallèle devant le juge des enfants, prévue par les articles 375, 375-1, 375-3 et 375-5 du Code civil. Selon ce dernier article, le président du conseil départemental, saisi d’une demande émanant d’une personne se déclarant mineure et privée de la protection de sa famille, met en place un accueil provisoire d’une durée de cinq jours. Dans ce délai, le président mène son enquête qui porte notamment sur l’identité, l’âge, la famille d’origine, la nationalité et la situation d’isolement de l’intéressé.

A la fin du délai, le président peut uniquement, rappelle le présent arrêt, saisir le procureur de la République, « mais ne peut en aucun cas décider d’admettre le mineur à l’aide sociale à l’enfance, sans que l’autorité judiciaire l’ait décidé ». La situation d’accueil provisoire se prolonge, tant que n’intervient pas une décision du juge des enfants. Mais le président du conseil départemental peut y mettre fin, s’il estime que la situation de l’intéressé ne justifie pas la saisine de l’autorité judiciaire, en particulier, comme c’est le cas ici, qu’il y a de très gros doutes sur l’âge de l’intéressé et sa situation de minorité. Il notifie alors à celui-ci une décision de refus de prise en charge, qui met fin à l’accueil provisoire.

En cas de refus du président ou du conseil départemental, l’article 375 du code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que celui-ci prononce les mesures d’assistance éducative nécessaires. Il doit donc obligatoirement saisir le juge des enfants et le Conseil d’Etat en déduit que l’existence de cette voie de recours parallèle devant le juge des enfants par laquelle le requérant peut obtenir son admission à l’aide à l’enfance rend irrecevable le recours devant la juridiction administrative contre la décision du conseil départemental, lorsque le département a refusé de saisir l’autorité judiciaire , par exemple au motif que l’intéressé n’a pas la qualité de mineur isolé.

Mais, dans certains cas, la saisine du Tribunal administratif demeure possible. Dans le présent arrêt, le Conseil d’Etat rappelle « qu’une obligation particulière pèse sur les autorités départementales (…) lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l’administration, en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée. »

Le Conseil d’Etat en a déduit dans plusieurs arrêts que, lorsqu’une atteinte grave et manifestement illégale est constituée en matière d’hébergement et de prise en charge éducative d’un mineur isolé étranger, le juge administratif des référés redevient compétent. C’est le cas, en particulier lorsqu’il apparait aux yeux du juge administratif des référés que « l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté é à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité ; il appartient alors à ce juge d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire. »

Examinant alors la présente affaire, le Conseil fait application de ces principes et examine si l’appréciation portée par le président du conseil départemental sur l’âge de l’intéressé est entachée ou non d’erreur manifeste ; en l’absence de décision du juge des enfants, il rejette les recours présentés en rappelant qu’il résulte de l’instruction menée par le juge des référés du TA de Nîmes que le département du Gard s’est fondé sur les conclusions d’une évaluation menée par une association indépendante : le requérant a présenté des papiers douteux ; l’évaluation a relevé « le caractère lisse et stéréotypé de son récit, son peu de crédibilité , y compris quant aux conditions d’obtention de ses documents d’identité et les incohérences l’entachant. » Elle a «également fait état d’une discordance entre l’âge allégué et son apparence physique, son attitude et sa maturité, correspondant à celle d’un adulte ». Le Conseil rappelle que la force probante d’actes d’état-civil étrangers peut être combattue par tous moyens, notamment au vu de données extérieures. Et il conclut que « l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, manifestement erronée ».

 

André Legrand.

André Legrand

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