Mémoire et apprentissages scolaires, des relations souvent fantasmées (ouvrage)
Paru dans Scolaire le lundi 04 avril 2022.
Quel rôle et quel fonctionnement de la mémoire dans les apprentissages scolaires ? Daniel Gaonac'h tente d'y répondre dans un ouvrage destiné à opérer un tri entre fables pédagogiques et faits scientifiques.
L'auteur, professeur émerite en psychologie cognitive (U. de Poitiers), constate en effet que “les travaux scientifiques sur la mémoire ont connu un profond renouvellement, suscitant une forme de fascination auprès du grand public, rêvant à une mémoire décuplée.“ Il critique cependant la “simplification outrancière des concepts et des données scientifiques“, de même que les médias “qui jouent sur l'anxiété sociale quant à la qualité de l'éducation apportée aux jeunes enfants.“
Ces questions d’éducation, “sur lesquelles les sciences cognitives mettent en avant des connaissances supposées novatrices“, et dont le succès a donné naissance à plusieurs mythes, sont dès lors matière à interrogation.
Il y a par exemple le mythe de la “prédominence supposée d'une forme de mémoire“, visuelle, auditive, olfactive.. Pour Daniel Gaonac'h, ces concepts intuitifs “n'ont guère de valeur scientifique“, et chacun de nous dispose de plusieurs mémoires. Aussi, “lorsqu'il s'agit d'apprendre, l'enjeu est, plus que leur distinction, celui de l'articulation entre les formes de mémoire“, et l'école doit faire en sorte que les différentes formes de mémoire “cohabitent mais surtout collaborent pour la réussite des apprentissages“.
Le cas des mémoires épisodique (associée à des événements autobiographiques) et sémantique (qui stocke toutes les connaissances) tend à indiquer “l'utilité pédagogique de l'association entre différentes représentations“. En effet, le professeur en psychologie cognitive indique qu'il n'est “sans doute pas surprenant pour le pédagogue que l'intégration du savoir nécessite la répétition“, mais il est “peut-être moins trivial de considérer que, pour laisser des traces, cette répétition doit se faire dans des contextes variés“.
Ainsi, la différence entre les étudiants de différents niveaux “ne tient pas tant à des capacités de raisonnement qu'à une exploitation automatique d'exemples pertinents, rendue possible par la confrontation répétée à des exemples suffisamment variés".
Daniel Gaonac'h considère de plus que “la conception des apprentissages, des séquences didactiques, des programmes ne peut pas dissocier mémoire et intelligence“, et il revient sur le mythe selon lequel toute pédagogie de transmission (comme un exposé magistral) serait un “mal en soi au profit de ce que l'on appelle parfois les pédagogies de découverte supposées être inspirées de la théorie du développement cognitif élaborée par Piaget.“
Sont par ailleurs évoqués les déterminants d'une mémoire efficace, “nombreux et complexes“, dont un mythe induit que ces différences seraient “figées et indépassables“. C'est donc l'histoire scolaire de chacun “qui conduit à ce qu'on se représente la tâche à réaliser en référence aux difficultés habituelles rencontrées dans certaines disciplines“. Plusieurs études ont révélé que, pour certains élèves (en fonction du genre, du niveau ou de la classe sociale), “la présence d'un enjeu important vécu socialement est loin de constituer un facteur favorable pour le fonctionnement cognitif“, soit une détérioration des performances habituelles en raison de la pression exercée par un facteur externe.
A noter enfin que la possibilité d'une mémoire exceptionnelle existe bel et bien, et ne représente pas un mythe. Elle constitue un don qui “n'est en rien inné“, mais nécessite un entraînement intensif.
Les élèves et la mémoire, Daniel Gaonac'h, éditions Retz, 176p., 9 €.