Les pensées des Lumières au service de l'école d'aujourd'hui (ouvrage)
Paru dans Scolaire le jeudi 15 septembre 2022.
“S'il est difficile de s'arracher tout seul de l'état de minorité, alors il faut se doter d'institutions“ analyse Eirick Prairat dans sa relecture d'Emmanuel Kant qui déjà en 1784 appelait à l'émancipation des individus. C'est ainsi que l'homme des Lumières, objet du présent livre du professeur de philosophie de l'Education, “parle en filigrane de l'école, qui doit devenir un lieu au service de la conquête de soi“, et c'est avec Nicolas de Condorcet et ses “Cinq mémoires sur l'instruction publique“ que ce fil va par la suite naturellement s'étendre.
La relecture de ce “digne héritier“ de Dalembert permet à Eirick Prairat de dévoiler la pensée du mathématicien, homme politique et encyclopédiste, pour qui l'école “a pour mission d'instruire et d'éclairer les Hommes“, mais n'est cependant “pas une institution parmi les autres, comme les autres, puisque le sort de la République en dépend.“
Il rappelle que pour Condorcet “la République et l'école sont liées, elles se conditionnent mutuellement tout en étant distinctes et autonomes“, et il montre comment cette “implication réciproque“ se retrouve à l'école dans l'importance donnée à l'hospitalité, à la justice et l'efficacité.
Déjà, ce dernier vantait la mixité : “Cette réunion toujours en public, et sous les yeux des maîtres, loin d'avoir du danger pour les mœurs, serait bien plutôt un préservatif contre les diverses espèces de corruption dont la séparation des sexes, vers la fin de l'enfance, ou dans les premières années de la jeunesse, est la principale cause“. Déjà, il traitait de pédagogie : “L'art d'instruire ne s'acquiert que par l'usage, ne se perfectionne que par l'expérience, et les premières années d'un enseignement sont toujours inférieures à celles qui les suivent."
Sans omettre la critique nécessaire des Lumières, l'auteur tire de Condorcet la matière nécessaire à l'élaboration de propositions pour l'école, espace intermédiaire “ni domestique, ni politique“ dont il distingue le rôle (“A la famille le devoir d'éduquer, à l'école la tâche d'instruire“). S'il ne cache pas que “les premières écoles n'ont pas figuré au rang des lieux hospitaliers ; elles ont le plus souvent été des lieux réservés à des publics particuliers, choisis“, l'école hospitalière qu'il appelle de ses vœux “se doit précisément d'être particulièrement accueillante pour les élèves en difficulté, c'est à dire pour ceux qui a priori semblent ne pas aimer l'école“. Et comme Condorcet en son temps, il souhaite promouvoir un socle commun de compétences car “c'est l'assurance que les plus déshérités quitteront l'école avec le savoir-faire et les compétences qui leur permettront de vivre de manière digne“.
Eirick Prairat fait également face aux nouveaux défis de la “Post-Vérité“, ou encore de “l'école du vivant“. Il propose plusieurs mesures, notamment pour lutter contre l'injustice, par exemple d'agir sur la ségrégation résidentielle. Il estime que “loin de mettre en lumière le mérite individuel, l'institution scolaire valid(e), de manière clandestine, la chance d'être bien né". Une réflexion qui prend soin d'appliquer “l'attitude“ des Lumières, “qui consiste à penser le moment que l'on est en train de vivre, à penser l'actualité dans laquelle nous nous inscrivons“ pour sortir ceux qui ne le peuvent de leur “état de minorité".
L'école des Lumières brille toujours, Eirick Prairat, éditions ESF, 168p., 15,90€