L’indispensable accord entre les croyances et les pratiques professionnelles des enseignants (Revue internationale d’éducation de Sèvres)
Paru dans Scolaire le mardi 13 octobre 2020.
"Pourquoi les enseignants sont-ils persuadés que certaines pratiques valent mieux que d’autres ? Pourquoi critiquent-Ils, voire refusent-ils, certaines pratiques, dont l’efficacité a (parfois) été démontrée par la recherche ?". Le dossier du nouveau numéro de la Revue internationale de Sèvres, intitulé "Croyances et pratiques professionnelles des enseignants", réunit une série d’articles sur le lien entre croyances et pratiques dans une dizaine de systèmes scolaires à travers le monde.
"Le terme de croyances a posé question", reconnaît Géraldine Farges de l’université de Bourgogne/IREDU et coordonnatrice du dossier. "Certains auteurs préféraient représentations, référentiels culturels, conceptions, normes…Le mot croyances, même s’il relève d’un vocabulaire proche des chercheurs en psychologie, a semblé le moins problématique". Mais, au-delà des termes, "le dossier interroge surtout le changement en éducation et les dilemmes que celui-ci soulève, entre acceptation des consignes institutionnelles et expertise professionnelle issue de la pratique".
Une nécessaire autonomie
Dans un article sur une "charter school" (école privée sous contrat aux Etats-Unis), l’auteur examine la manière dont les enseignants réagissent aux efforts des établissements pour contrôler leurs pratiques. Il apparaît que les décideurs doivent prendre en compte les référentiels culturels des enseignants, en leur laissant suffisamment d’autonomie pour modifier leurs pratiques.
En Corée du sud, malgré les excellents résultats aux tests PISA, "certains enseignants ne croient pas à l’efficacité des évaluations systématiques", souligne Géraldine Farges. "Ils se montrent critiques à l’égard des standards nationaux qui leur semblent parfois passer à côté d’une réelle réussite scolaire pour les élèves." En Tunisie, "les directives officielles, en assurant l’unicité du système éducatif, ne risquent-elles pas de sacrifier l’implication des enseignants et de remettre en question l’idéal libérateur de l’école ?".
Entre tradition et modernité
Assoumana Sané, docteur en sciences de l’éducation au Sénégal a mené une enquête sur les interrelations entre croyances et pratiques à partir d’un échantillon de 117 enseignants du primaire et du secondaire au Burkina Faso, au Niger et au Sénégal. La coordonnatrice du dossier constate qu’on assiste en Afrique à "une coprésence de l‘école moderne et traditionnelle, des croyances liées à l’esprit communautaire d’une part et des pratiques introduisant notamment l’esprit de compétitivité d’autre part".
En France, souligne Françoise Carraud, maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2, "les enquêtent montrent que le sentiment de malaise des enseignants, certes réel, n’empêche nullement le ‘plaisir’ ou la satisfaction au travail." A partir d’une réflexion sur la notion de norme, préférée à celle de croyance, l’article met en évidence quelques normes du "beau travail" dans les premier et second degrés en France. En Pologne, l’exemple du Laboratoire de changement éducatif prouve combien il est important d’impliquer les enseignants dans le processus de changement. Faute de quoi les réformes sont vouées à l’échec parce que les enseignants ne parviendront pas à mettre en place des pratiques auxquelles ils ne croient pas.
Revue internationale d'éducation Sèvres, n° 84, septembre 2020, 196p., 17€
Colette Pâris