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De l'impossibilité de définir des valeurs en éducation (Revue internationale d'éducation de Sèvres)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 13 octobre 2021.

"Depuis 1996, l'Unesco défend une vision de l'éducation conçue comme une utopie nécessaire, où apprendre à vivre ensemble est la priorité absolue." Elle "défend ardemment ce concept d'éducation à la citoyenneté mondiale." Mais "l'optimisme confiant dans les progrès vers un monde plus juste et pacifique a subi (depuis) de sérieux revers" et les "tenants d'une modernisation conservatrice ont engrangé des victoires substantielles (...). Le modèle économique néolibéral (...) met l'accent sur la compétitivité et la dérégulation. Il encourage aussi à une approche utilitariste, consumériste et nationale de l'éducation." Ces quelques lignes, extraites de l'article de Hugh Starkey (Institute of education, London) qui conclut le dernier numéro de la Revue internationale d'éducation de Sèvres, posent la question qui est au coeur du dossier, "les valeurs en éducation".

C'est une question qui ne peut être éludée. Certes, le pragmatisme et les "evidence based policies" prétend s'en affranchir, mais elles tendent à devenir elles-mêmes "une idéologie politique", font remarquer Alain Boissinot (Inspecteur général honoraire) et Bernard Delvaux (Université catholique de Louvain) dans leur propos introductif. Et aucun pays n'y échappe, même la Chine qu'Ora Kwo (ECNU, Shanghai) et Mingrui Yang (U de Homghe, Mengzi) décrivent comme confucéenne, "le pouvoir de l'obéissance" étant remis "à jour" et l'individu s'intégrant dans l'harmonie collective, mais où la compétition scolaire (donc l'individualisme) est exacerbée. Elle se pose différemment en Bolivie, pays que la constitution de 2009 définit comme "un Etat plurinational, de caractère communautaire" et où les finalités du système scolaire sont posées, en termes de valeurs, avec les termes d'intraculturalité, d'interculturalité, de "complémentarité entre les savoirs et les connaissances indigènes originels et universels", mais aussi de décolonisation, dépatriarcalisation et de "bien-vivre". Mais, ajoutent les universitaires F. Galindo et J. A. Mayorga, le pays "vit une tension entre deux systèmes de valeurs : les valeurs intégratrices homogénéisantes, liées à la construction de l'Etat-nation et les valeurs intégratrices plurielles, liées à la construction de l'Etat multiculturel et maintenant plurinational".

En Finlande, notent M. Björkgren, T. Gulberg et S-E Hansen (Äbo Akademi), "il reste des traces" d'un système de valeurs qui s'appuyait sur "une convergence des normes sur la valeur unique de l'enfance", mais "la politique traditionnelle de l'individualisme égalitaire a ouvert (...) un espace de plus en plus large (...) à la recherche de la performance", d'où "une tension croissante entre les intentions des rédacteurs du curriculum et les évolutions de la pratique" puisque "la politique actuelle de libre choix de l'école permet aux familles aisées d'envoyer leurs enfants dans un environnement social favorisé" et remet en cause "l'idée d'équité et d'égalité".

A. Boissinot et B. Delvaux s'interrogent. "Peut-être a-t-il existé des temps supposés heureux où les valeurs de l'école, de la société, du monde paraissaient en harmonie" en Asie ou en France... Mais "le projet de la modernité occidentale, longtemps conquérant, s'est progressivement mondialisé", "la quête d'autonomie qui impliquait une démarche d'autolimitation, s'est muée en recherche d'une liberté individuelle sans limites et d'un épanouissement qui autorise peut-être des relations interpersonnelles, mais non un projet collectif". Dès lors, la question des finalités est laissée aux individus, le collectif s'occupant seulement de mettre à leur disposition "les moyens les plus efficaces de réaliser leurs ambitions". Les Etats pourtant restent "investis de la mission d'assurer la cohésion sociale", ce qui suppose "de défendre, voire d'enseigner les valeurs". Ils prennent toutefois le risque d'aboutir "à un catalogue de bonnes intentions" et "à un affichage artificiel jouant sur la polysémie (inéluctable) des mots". Il existe par exemple "plusieurs définitions de l'égalité ou de la liberté". Il faudrait notamment redéfinir "une valeur démocratique aussi essentielle que la liberté d'expression"...

Pour leur part, sur le terrain, les écoles "interprètent librement des finalités officielles trop touffues et hétérogènes (...). Il en résulte une fragmentation de chacun des systèmes scolaires (...)." Certaines écoles "résistent à mettre en oeuvre un projet officiel trop peu tolérant", la puissance publique tolérant, par le biais de politiques de décentralisation, "la priorisation différenciée de certaines valeurs".

Et lorsque les normes qui traduisent des valeurs communes ne font plus consensus, "elles retrouvent un caractère discutable qui relance le débat sur les valeurs et oblige à s'interroger sur le fondement même du projet éducatif. C'est pourquoi les valeurs apparaissent comme un horizon, une visée idéale, plus que comme une donnée préalable", ce qui exclut, "dans l'acte éducatif, une simple pédagogie dogmatique reposant sur l'assertion : elle suppose plutôt une formation au débat et à l'argumentation (...). Elle suppose aussi que l'on s'interroge sur les formes que peut revêtir, ou non, la 'démocratie scolaire'."

Les valeurs dans l'éducation, dossier du n° 87 de la Revue internationale d'éducation de Sèvres (France Education international), 200 p., 17€

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