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Les émotions, moteur ou, au contraire, obstacle aux apprentissages (revue de l'AFAE)

Paru dans Scolaire le lundi 20 février 2023.

"Enseigner et apprendre relèvent de processus individuels et collectifs complexes", dont certains sont du ressort de l’intime et des émotions, une thématique qui n’est pourtant "apparue que récemment dans les recherches en sciences de l’éducation", constatent Jérôme Visioli, Oriane Petiot, Monique Chestakova dans l'article qui ouvre le dernier numéro de la revue de l'AFAE, Administration & Education, consacré aux émotions. Ils distinguent en effet pour mieux les rapprocher "deux registres de compétences, trop souvent considérés comme scindés", les compétences "pédagogiques" qui "renvoient aux dimensions relationnelles du métier", et à des notions telles que "bienveillance, exigence, proximité, contrôle, soutien, disponibilité, etc.", et d’autre part, "les dimensions 'didactiques' (qui) se rapportent à la mise en forme scolaire des contenus à enseigner".

Mais qu'elles relèvent de l'un ou de l'autre, les situations d’apprentissage, l’organisation de la classe, les modalités de régulations "sont susceptibles de marquer l’expérience émotionnelle des élèves en classe", mais aussi, en retour, celles des enseignants : "Les comportements et remarques des élèves viennent parfois ébranler leur statut, fragiliser leur autorité, questionner leur identité professionnelle."

Pour une pédagogie des émotions

Ces émotions "ne sont pas seulement liées aux ressentis singuliers des enseignants et des élèves", elles participent, positivement ou négativement, aux apprentissages: "Un professeur peut recadrer un élève avec comme intention d’impacter plus globalement toute la classe. À l’inverse, utiliser une dynamique collective en début de leçon peut favoriser l’engagement d’un élève réfractaire." Jérôme Visioli (Rennes 2) propose d'ailleurs aux enseignants d' "opter pour une pédagogie des émotions", chacun réfléchissant "à sa posture professionnelle, à la distance qu’il instaure avec ses élèves, au(x) personnage(s) qu’il joue dans le théâtre de la classe" et envisageant les apprentissages émotionnels "dans une imbrication forte avec les apprentissages disciplinaires". Monique Chestakova en donne un exemple avec une maternelle qui a intitulé son projet d'école "Aide moi à apprendre avec mes émotions" et qui constate que "chaque enfant y gagne en réussite et en partage".

Denis Meuret replace d'ailleurs la question des émotions dans une perspective éducative qui dépasse la transmission des savoirs. Il s'agit, avec les émotions que l'Ecole peut susciter, aussi bien de détourner les jeunes du djihad" que de "les armer contre le réchauffement climatique" et de "développer leurs capacités d’attention".

Dans une perspective purement didactique, l'enseignant peut aussi s'appuyer sur "les effets transformatifs des émotions que vivent les élèves (...) Toute émotion peut engendrer un apprentissage (...), par exemple, l’épreuve de la déception qui amène un élève à enquêter sur les causes de ses erreurs" soulignent Nicolas Terré (IFEPSA d'Angers) et Carole SÈVE (IGESR). Encore faut-il que l'enseignant réussissent "à absorber les débordements émotionnels des élèves, en développant une fonction contenante suffisamment élastique pour se laisser distendre et déformer ses réactions affectives, mais suffisamment ferme pour y résister" lorsqu'il permet "aux élèves de parler du déplaisir et des pulsions qui les agitent". En effet, notent Jérôme Visioli et Gaëlle Espinosa (U. de Lorraine), "les émotions des élèves peuvent se lire sur le corps des élèves", mais elles restent "difficiles à cerner sans passer par la parole", ce qui peut mettre en difficulté l'enseignant qui les reçoit.

Vivre de multiples passions

A l'inverse, un enseignant passionné peut transmettre sa passion et "permettre aux élèves de vivre de multiples passions au cours de leur scolarité" : "Si l’École entend se projeter dans le futur de ses élèves, les ouvrir durablement à la curiosité scientifique, en faire des lecteurs assidus, les inciter de manière pérenne à la pratique sportive, elle a plus avantage à les amener à cultiver des passions pour ces objets que de leur faire ânonner les bréviaires disciplinaires", estime Didier Delignières (Université de Montpellier) qui ne craint pas de dénoncer "un encyclopédisme superficiel" et une "approche académique, centrée sur la transmission des savoirs disciplinaires".

"L’ambiance affective de la classe tient pour une part à une certaine manière d’user de sa voix", note pour sa part David Le Breton (U. de Strasbourg). "Des intonations coupent parfois toute possibilité de communication car elles laissent finalement à penser, à tort ou à raison, que l’interlocuteur est de peu de poids et abordé avec hauteur. La voix émet un message à l’insu du locuteur. Du fait qu’elle donne son rayonnement à une présence, elle est à bien des égards inductrice de l’ambiance affective qui alimente la réceptivité des élèves."

Ailleurs dans la revue est soulignée la nécessité "d’apprendre aux futurs enseignants à identifier, comprendre, réguler, exprimer et écouter leurs émotions et celles des autres", faute de quoi chacun s'enferme dans son rôle, l'élève "immobile et à l’écoute", l'enseignant "se méfiant du moindre imprévu", "exerçant son pouvoir sur les prises de parole", instaurant "un climat anxiogène peu propice à l’expression des élèves". Pascale Toscani (U. Paul Valéry, Montpellier) évoque "l’absolue nécessité de prendre conscience de ses sentiments" car ils auront un impact sur la relation éducative. Chaque humain peut en effet "faire dépendre sa pensée et ses actions des attentes d’autrui de manière inconsciente", mais aussi "imposer sa pensée et ses actions à autrui de manière tout aussi inconsciente. L’interaction se complexifie pour l’enseignant, dans la mesure où l’autre est aussi pluriel lorsqu’il s’agit d’une classe. Le collectif est générateur en lui‑même d’émotions qui n’appartiennent qu’à lui et qui sont d’une autre nature que celles qui envahissent chaque élève en particulier."

Les émotions en contexte scolaire, revue de l'AFAE, n° 176, 21€

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