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TPE, Grand oral... les dispositifs par projets, une émancipation domestiquée ? (ouvrage)

Paru dans Scolaire le vendredi 06 janvier 2023.

“Jugés proches de l'esprit de l'éducation populaire“, les dispositifs horizontaux “ont été vus comme un moyen d'amoindrir la domination culturelle au collège et au lycée, et aussi un vecteur d'émancipation à et par l'école“, analyse le sociologue Stéphane Vaquéro (U. Limoges) dans son dernier ouvrage.

L'idée de départ de ces ateliers par projets (comme les TPE ou le grand oral) et qui apportent du concret, du quotidien dans le travail scolaire est de “fournir aux élèves des classes populaires l'ensemble des savoirs visant à gérer tous les pans de l'activité économique et ainsi à s'émanciper des rapports de domination économique propres aux sociétés capitalistes“. Seulement voilà, “si l'école cherche à en transmettre les codes, poursuit l'auteur, alors elle en détourne les finalités, finit par domestiquer l'émancipation qu'elle se fixe comme objectif et en fait un critère de classement, de distinction sociale bénéficiant en priorité aux plus proches de la culture scolaire“.

Ambivalence

Les raisons de cette “domination“ dont il est question se logent dans l'ambivalence que ces projets portent en eux. C'est d'ailleurs “parce qu'elle est floue et ambivalente que chacun peut se référer à l'histoire de ces dispositifs pour y trouver un ‘bon‘ moyen de réformer l'école et les pratiques pédagogiques“, constate le sociologue. De même, malgré une forte adhésion pour leur caractère plus juste et plus efficace, la place mineure qu'ils occupent (seulement 2 heures par semaine de septembre à février pour les TPE) montre une certaine indifférence à leur mise en œuvre.

Ces dispositifs sont en effet “largement sous-financés et les enseignants doivent faire avec les moyens du bord“, mais en contrepartie, ils sont peu contrôlés par la hiérarchie et offrent une grande marge de manœuvre. Pourtant, estime le maître de conférences, “le cadrage faible de ces dispositifs n'est pas le signe d'un hypothétique manque de réflexion ou de sérieux de la part des concepteurs, mais bien un véritable mode de gestion ou de management pédagogique". Ainsi, “si ces dispositifs parviennent à réformer les pratiques des enseignants ce n'est pas malgré leur place mineure dans les emplois du temps mais bien du fait de cette place très secondaire. C'est parce que ces dispositifs n'appartiennent à aucune discipline, parce que les textes sont flous, parce qu'ils ne sont pas ou peu évalués, parce que les enseignants n'ont aucune chance d'y être inspectés qu'ils sont des pierres angulaires de l'ambition réformatrice du métier“.

Dans le détail, l'analyse porte entre autres sur le parcours des enseignants engagés, ou le contenu même des Travaux personnels encadrés (TPE) qui se sont arrêtés en 2019. Avec une moyenne de 14,1 sur 20, les notes obtenues étaient dans l'ensemble bien plus élevées que les moyennes disciplinaires obtenues au lycée, et dès lors considérées comme un “coup de pouce“ au baccalauréat, les enseignants considérants même que “tout le monde y gagne“ (seules les notes au-dessus de 10/20 étaient comptabilisées pour l'obtention du diplôme, ndlr).

Homogénéité sociale

Stéphane Vaquéro montre malgré tout que “les TPE creusent les inégalités scolaires comparativement aux notes obtenues au collège et au lycée“, et qu'ils “nourrissent la croyance, la doxa pédagogique de la remise à plat par le recours au concret“. Est justement expliqué que “ce sont bien les travaux des meilleurs élèves qui sont jugés les plus originaux et, en plus de cela, considérés comme montrant les meilleures qualités d'analyses“, et qu'au moment d'évaluer les productions de manière chiffrée, les enseignants, hormis en terminale ES, “tendent à remettre en ordre les hiérarchies et classements scolaires qu'ils ont pourtant cherché à bousculer à travers leurs commentaires“.

La domination se trouve encore dans la constitution des groupes, où “ce sont les élèves de catégories populaires qui ont le plus de probabilité de se retrouver dans des groupes homogènes socialement“. S'y ajoute le “pouvoir discrétionnaire sur la validation ou le refus des sujets proposés“ par les enseignants, ce qui ajoute une domination sociale à la domination culturelle car selon le chercheur “c'est plutôt la capacité à manipuler et à transférer des dispositions culturelles acquises hors l'école qui s'avère déterminante dans la capacité à imposer ses références culturelles et loisirs dans le cadre scolaire et, là encore, la proximité familiale avec la forme scolaire de socialisation s'avère déterminante“.

Il s'agit enfin de l'importance de mobiliser “des techniques scripturales et narratives“ bien plus qu'en mobilisant des compétences techniques ou même des savoirs scientifiques, et par conséquent, “en conduisant les élèves et les enseignants à imaginer et à valoriser un type d'écriture, de mise en forme et de propos qui démontre l'engagement de soi à l'école, la liberté de choix produit des effets cognitifs, un ‘pouvoir par les savoirs‘“.

“Les dispositifs horizontaux, considère alors le sociologue, sont des lieux où enseignants et élèves voués aux positions intermédiaires ou dominantes co-construisent un type de discours ad hoc, fondé en apparence sur le concret, le pratique, le manuel, mais structuré par des modes de raisonnement éminemment scolaires et socialement situés“. Aussi et “paradoxalement, les ressorts de la domination de la forme scolaire s'imposent à l'école par la critique même de la posture scolastique“.

Stéphane Vaquéro, Les ateliers de la domination scolaire, La dispute, 272p., 18€.

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