Lancement du programme IDEE pour que la France rattrape son retard en matière de "données probantes" sur l'éducation
Paru dans Scolaire le lundi 28 novembre 2022.
Le groupe d'experts de la Commission européenne "Investir en éducation" a identifié de "nombreuses pollitiques prometteuses", mais il a également constaté que dans de nombreux domaines, des investissements, financés par le plan de relance européen et souvent très importants, notamment en ce qui concerne le bâti scolaire et les technologies digitales sont fondés sur un nombre très restreint d'études, explique Gabrielle Fack (U. Paris-Dauphine) qui le préside. Elle intervenait ce 28 novembre lors de la conférence de lancement du programme IDEE, "Innovations, données et expérimentations en éducation".
Elle souligne que la littérature académique provient souvent d’évaluations menées aux Etats-unis ou en Grande-Bretagne, beaucoup moins souvent dans des pays européens, et que les publications scientifiques s'intéressent assez peu aux coûts des expérimentations. Elle plaide d'ailleurs pour la création d'un fonds européen qui permettrait d'investir sur l’expérimentation.
Lors de sa conférence inaugurale, Esther Duflo a évoqué un "déclin rapide des compétences en mathématiques", sans qu'on puisse en accuser la pandémie. C'est vrai en France où le système scolaire n'apporte "ni performance, ni bien-être" puisque seuls 41 % des enfants ont le sentiment d'être "à leur place" à l'école, contre 73 % en moyenne de l'OCDE. C'est encore plus vrai en Inde où la situation est catastrophique, et où la prix Nobel d'économie a travaillé sur des programmes de développement des compétences intuitives en mathématiques des enfants, avec des jeux qui ont eu effet immédiat mais pas à long terme : "le système scolaire n’a pas su tirer profit d’une capacité mathématique accrue."
La question du "passage à l'échelle", de la généralisation des expérimentations est revenue plusieurs fois dans la matinée, d'où l'importance d'avoir des "données probantes" pour convaincre les décideurs, souligne Stanislas Dehaene après une série d'exposés qui montrent les obstacles et les difficultés, tant méthodologiques que matérielles, pour obtenir, au terme d'une expérimentation, de telles données. D'autres ont des résultats "significatifs" en cela qu'ils sont au-delà de la marge d'erreur, mais très faibles. Il est vrai que ces expérimentations, pour des raisons éthiques, ne peuvent porter que sur des questions dont on ne connaît pas déjà la réponse, et qu'un résultat négatif, ou faible, est en soi une information sur ce que l'on peut, ou ne peut pas attendre d'une méthode.
Intervenant après la présentation des expérimentations des programmes "Energie jeunes" et "Un violon dans mon école", la rectrice de Versailles décrit une académie qui "accueille très favorablement ces expérimentations". "La France n’est pas très bonne sur ces sujets (...) même si on commence à savoir ce qui marche et ce qui marche moins bien…"
Cette conférence était organisée par le ministère de l'Education nationale et par le Conseil scientifique de l'Education nationale, mais le programme lui-même est porté par PSL (Paris Sciences & Lettres) et financé par l'ANR (Agence nationale de la recherche), il rassemble des laboratoires en économie, sociologie, psychologie, sciences cognitives et sciences de l'éducation. Pour Marc Gurgand (Ecole d'économie de Paris) qui en asssure la coordination, "la France a encore du chemin à faire en matière d'évaluation d'impact en éducation" et manque d'outils "pour aider à concevoir les politiques publiques et faire évoluer les pratiques professionnelles des enseignants".