Participation aux grèves : pourquoi les chiffres du ministère sont faux (L. Frajerman)
Paru dans Scolaire le dimanche 22 janvier 2023.
Plusieurs biais dans le calcul, par l'administration de l'Education nationale, des taux de participation aux mouvements de grève sont connus. Laurent Frajerman (chercheur associé au CERLIS - Université de Paris Cité) en met en évidence de nouveaux. ToutEduc avait déjà, à maintes reprises, signalé que ces taux mêlaient public et privé sous contrat (où les mouvements sociaux sont souvent moins marqués), qu'ils étaient calculés par rapport au nombre total des enseignants d'un établissement et non par rapport au nombre des enseignants attendus à la première heure de cours, un biais très important dans le second degré, significatif dans le 1er degré, et qu'ils dépendaient de la qualité des informations collectées par les chefs d'établissement et par les IEN pour qui la tâche est particulièrement délicate puisqu'ils ne peuvent pas, matériellement, faire le tour des écoles.
Ce ne sont toutefois pas tous les inspecteurs de circonscription ni tous les chefs d'établissement qui font remonter leurs chiffres au DASEN, au rectorat, au ministère, mais un panel. Restait donc à comprendre comment celui-ci est constitué.
Le chercheur s'est penché sur le calcul du taux de grévistes dans le 1er degré lors du mouvement du 5 décembre 2019 massivement suivi puisque le ministère avait communiqué un taux de 51 % pour le 1er degré (ToutEduc ici). Il a obtenu, après s'être adressé au tribunal administratif et à la CADA, le tableau renseigné pour l'académie de Toulouse. Première surprise, le département de Haute-Garonne ne figure pas dans le panel. La capitale de la région Occitanie est pourtant connue pour l'écho qu'y trouvent les appels des organisations syndicales. Dans le Tarn-et-Garonne, la circonscription de Caussade attire son attention. Elle compte 40 écoles. Selon la presse locale et le rectorat, 20 écoles sur 40 étaient fermées, ces écoles réunissant 57 % des classes de la circonscription. Il y a donc au moins 57 % des enseignants qui ne font pas classe ce jour-là. De plus, la section départementale du SNUIPP avait contacté la moitié des écoles qui étaient restées ouvertes, et avait des taux de grévistes de 30 à 50 %. Donc, même en supposant que les données de l'organisation syndicale ne soient pas exactes, le taux de grévistes du département ne peut pas, mathématiquement, être de 53 %, le chiffre qui figure sur les documents consultés par le chercheur !
Il semble bien que pour les 10 circonscriptions du Tarn-et-Garonne, les chiffres soient inférieurs à ce que donne à penser les seules listes des écoles fermées. Laurent Frajerman annonce à ToutEduc qu'il prolonge ses recherches pour vérifier que le cas de ce département n'est pas isolé et pour voir ce qu'il en est dans le second degré. La sous-estimation est-elle systématique ? Il ne se prononce pas en l'état de ses travaux.