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Scolarisation des enfants en situation de handicap : l'Etat a une obligation de résultat (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire le lundi 12 septembre 2022.

Les enfants et adolescents handicapés ont droit à l’accès au système public d’enseignement. Ils sont, pour ce faire, scolarisés de préférence en milieu ordinaire, si nécessaire au sein de dispositifs adaptés, ou dans des établissements spécialisés. L’Etat a donc l’obligation de trouver les moyens de leur permettre de suivre la scolarité la mieux adaptée à leur situation et il engage sa responsabilité en cas de carence. C’est sur la question des conditions d’application de cette responsabilité que revient l’arrêt Mme Yasmina C., rendu par le Conseil d’Etat le 19 juillet 1922.

Un enfant était atteint d’une tumeur cérébrale évolutive provoquant des troubles cognitifs et psychomoteurs lourds. Il avait, à partir de 7 ans, été scolarisé en IMP, puis en milieu scolaire ordinaire avec auxiliaire de vie scolaire, en CLIS, et enfin en ULIS, solutions qui se sont toutes successivement révélées inadaptées, jusqu’à ce que, alors qu’il avait atteint l’âge de 13 ans, la CDAPH du Rhône décide de le diriger vers deux établissements pour handicapés moteurs. Le premier était situé à Lyon et il avait manifestement la préférence des parents, mais il a refusé d’inscrire l’enfant "pour des raisons de sécurité et d’efficacité de la prise en charge". Le second se trouvait à Dommartin : il a, dans un premier temps, refusé l’accueil pour des motifs tirés de la sectorisation des établissements. Du fait des nombreuses alertes des parents et du signalement d’un centre médico-chirurgical de Lyon, la commission avait ajouté à sa proposition une liste de trois IME : les parents n’ont pas pris contact avec deux d’entre eux et ils ont fait savoir au troisième qu’il ne leur paraissait pas adapté aux besoins de leur enfant. Finalement l’inscription à Dommartin a été faite près de 15 mois après la décision de la commission.

Les parents ont saisi le TA de Lyon d’une demande en indemnité, tant pour leurs préjudices propres que pour ceux subis par leurs trois enfants à raison du défaut de scolarisation du jeune handicapé entre la rentrée scolaire 2011 et le mois de janvier 2013. Leur recours ayant été rejeté en juillet 2016, rejet confirmé par la CAA de Lyon en novembre 2018, ils se sont tournés devant le Conseil d’Etat pour obtenir l’annulation de ces décisions.

Le Conseil rappelle les principes en vigueur, déjà présents, par exemple, dans des arrêts de 2009 et de 2014 : "le droit à l’éducation est garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et …, l’obligation scolaire s’appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation." Il s’agit donc d’une obligation de résultat et non plus, comme c’était le cas avant 2005, d’une obligation de moyens et son non-respect constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Certes, derrière la simplicité du principe, l’analyse concrète de la responsabilité est plus complexe et plus subtile et fait apparaître quelques situations où, par exception, comme le montre l’analyse fine et détaillée du rapporteur public Raphaël Chambon, publiées sur ArianeWeb, la responsabilité de l’Etat ne s’applique pas. Le Conseil d’Etat se focalise cependant sur l’une d’entre elles, pour répondre à l’argumentation de la CAA.

On sait qu’en matière de responsabilité, la faute de la victime constitue une circonstance susceptible d’atténuer ou de faire disparaître la responsabilité du coupable. C’est l’argument qu’avait utilisé la CAA pour rejeter la demande des requérants. Il leur appartenait, disait la Cour, de prendre contact avec les directeurs des établissements ; or, ils n’ont entrepris des démarches en vue de l’admission de l’enfant qu’auprès de celui de Lyon et, s’agissant de celui de Dommartin, l’instruction fait apparaître qu’il n’avait pas été sollicité dans un premier temps. Enfin, comme cela a déjà été souligné, ils n’ont pas vraiment donné de suite aux trois autres propositions alternatives. C’était donc à eux, concluait la Cour, qui, "contrairement à ce qu’ils soutiennent, ne bénéficient pas d’un régime de responsabilité pour faute présumée", qu’incombait principalement la responsabilité de la non-scolarisation de leur enfant.

Le Conseil d’Etat estime qu’en déduisant de ce que les dommages invoqués trouvaient leur cause exclusive dans le fait les parents n’avaient pris contact qu’avec certains des établissements vers lesquels la CDAPH les avait orientés, "la Cour avait inexactement qualifié les faits de l’espèce qui lui étaient soumis" et il annule sa décision. Se saisissant de l’affaire au fond, il constate que l’enfant n’a bénéficié d’aucun mode de scolarisation entre le 9 septembre 2011 et le 8 janvier 2013, alors même que la CDAPH avait prescrit son orientation vers plusieurs établissements sociaux et médico-sociaux ou à défaut vers une ULIS. Il juge que ce défaut de scolarisation est constitutif d’une carence fautive de l’Etat. Si les parents, ajoute-t-il, "n’ont pas immédiatement contacté, après chacune des décisions de la CDAPH, l’ensemble des structures vers lesquelles celle-ci ont orienté leur enfant, d’une part, ils ont saisi, les uns après les autres, les établissements désignés par la commission à titre préférentiel, d'autre part, ils ont signalé, dans l'attente d'une réponse favorable de l'un de ces établissements, à de multiples reprises à l'agence régionale de santé du Rhône et à la maison départementale des personnes handicapées du Rhône l'urgence que revêtait la scolarisation de leur fils, enfin ils ont pris l'attache des services de l'académie du Rhône pour solliciter l'admission, que la commission avait décidée à titre temporaire, de leur fils en ULIS. Dans ces conditions, leur comportement n'est pas de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité."

L’arrêt de la CAA et le jugement du TA de Lyon sont donc annulés et le Conseil octroie des indemnités à chacun des requérants.

André Legrand

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