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Instruction en famille : le Conseil d'Etat précise les règles (une analyse d'André Legrand)

Paru dans Scolaire le jeudi 22 décembre 2022.

Le Conseil d’Etat vient de rendre deux décisions importantes concernant les nouvelles règles régissant l’instruction dans la famille. On sait que les dispositions en la matière ont été durcies par l’article 49 de la loi du 14 août 2021 confortant les principes de la République. Traditionnellement, depuis la fin du XIXème Siècle, la possibilité de faire procéder à l’instruction obligatoire à domicile ou en famille était soumise à un régime de déclaration préalable faite à la fois en mairie et auprès de ‘inspection académique. Depuis 2021, elle est passée sous un régime d’autorisation préalable précisé par l’article L. 131-5 du code de l’éducation.

"L’autorisation … est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoqués d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant : 1°) l’état de santé de l’enfant ; 2°) la pratique d’activités sportives ou artistiques intenses ; 3°) l’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ; 4°) l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité des personnes chargées d’instruire l’enfant en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant." Les trois premiers motifs reprenaient la liste, jusque là établie par circulaire, de ceux qui justifiaient une inscription au CNED.

Les deux affaires jugées le 13 décembre 2022 par le Conseil d’Etat, bien éclairées par les conclusions du rapporteur public Jean-François de Montgolfier, parues sur ArianeWeb, concernaient pour l’une le premier motif, pour l’autre le quatrième. Dans les deux cas, le Conseil d’Etat statuait en cassation contre des ordonnances de référé annulant des décisions de refus de l’administration. Le rapporteur public d'ailleurs a souligné l’abondance du contentieux et l’avalanche des demandes de référé-suspension constatée à la rentrée 2022, en notant que près de 250 ordonnances de référé ont été rendues pendant l’été.

Une mère de famille avait demandé une autorisation d’instruire son fils de 11 ans souffrant de troubles du développement perturbant sa scolarité. L’inspectrice d’académie avait refusé la demande et ordonné la scolarisation de l’enfant dans un établissement public ou privé : décision dont l’exécution a été suspendue par une ordonnance rendue par le juge des référés du TA de Dijon, qui avait enjoint au recteur de délivrer une autorisation provisoire d’instruire l’enfant en famille. Le ministère s’était pourvu en cassation contre cette ordonnance : il voit son recours rejeté par le Conseil d’Etat.

Comme le note le rapporteur public, l’administration estimait que seule une impossibilité de scolarisation pouvait justifier une autorisation d’instruire dans la famille. Mais, souligne-t-il, suivi sur ce point par le Conseil d’Etat, cette "condition d’impossibilité ne figure pas dans les motifs mentionnés par le 1° de l’article L 131-5". La possibilité de la scolarisation en famille est plus large, comme le note la formation de jugement : "il appartient à l’autorité administrative, régulièrement saisie d’une demande en ce sens, d’autoriser l’instruction d’un enfant dans sa famille lorsqu’il est établi que son état de santé rend impossible sa scolarisation dans un établissement public ou privé, ou lorsque l’instruction dans la famille, est en raison de cet état de santé, la plus conforme à son intérêt."

Il en résulte que le juge des référés du TA était fondé à dire que la possibilité de délivrer l’autorisation ne pouvait pas être limitée au seul cas où l’état de santé de l’enfant fait obstacle à toute scolarisation en établissement et que l’administration est tenue, dans tous les cas, de comparer les avantages et les inconvénients pour l’enfant de la scolarisation et de l’instruction en famille. Le pourvoi du ministère est donc rejeté.

Le second arrêt était attendu. Comme le note le rapporteur public, "les juges des référés des tribunaux administratifs qui ont statué au cours du mois d’août dernier se sont divisés sur la question de (l’interprétation du 4ème motif) et les premières décisions qui viennent d’être rendues en excès de pouvoir par les tribunaux administratifs confirment ces divergences d’interprétation". Il appelait donc le Conseil d’Etat à unifier la jurisprudence sur ce point.

Les juges des référés et les TA, rappelle-t-il, se sont divisés entre deux camps : d’abord la position de ceux qui s’en tiennent à la lettre de l’article L. 131-5 du code de l’éducation : l’application du 4ème motif suppose d’abord "l’existence  d’une situation propre à l’enfant motivant le projet pédagogique" ; "dans ce cas, ajoute l’article, "la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité d’assurer l’instruction en famille".

L'autorité administrative doit-elle contrôler "l'existence d'une situation propre à l'enfant" ?

Mais un second camp s’est formé à la suite de la décision du Conseil constitutionnel rendue en août 2021 sur la loi du14 août 2021 confortant les principes de la République, dans laquelle il met l’accent essentiel sur le projet pédagogique, semblant ainsi gommer l’importance de la situation propre à l’enfant. Et le décret d’application de la loi codifié à l’article R.131-11-5 ne fait pas figurer dans les motifs la situation propre à l'enfant. Le juge des référés de Toulouse s’était manifestement rangé dans ce deuxième camp, puisque le Conseil d’Etat constate qu’il avait retenu "que l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant un projet d'instruction dans la famille n’ (était) pas au nombre des éléments que l'autorité administrative doit contrôler avant de se prononcer sur une demande d'autorisation d'instruction en famille fondée sur un tel motif".

Mais comme le note le rapporteur public, "il n’est pas suffisant que le projet pédagogique soit abstraitement adapté à un enfant de la classe d’âge correspondante ; il incombe aux parents de démontrer que le projet pédagogique répond à la situation propre de leur enfant." Le Conseil constate que l’appréciation portée par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est entachée d'une erreur de droit et que, par suite, le ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse est fondé à en demander l'annulation.

Décidant d’évoquer l’affaire, le Conseil d’Etat tranche une première question non négligeable. Le couple qui contestait le refus d’autorisation avait une fille ainée instruite dans la famille, qui avait bénéficié du renouvellement de plein droit de l’autorisation pour une période transitoire de deux ans, prévu par la loi de 2021, dans la mesure où elle avait satisfait aux exigences de contrôle organisé chaque année par l’administration pour vérifier l’acquisition de chacun des domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Ce renouvellement de plein droit est réservé par la loi aux candidats qui étaient déjà instruits dans la famille avant son intervention. L’administration pouvait donc légalement traiter différemment l’enfant déjà instruite dans la famille au cours de l’année 2021-2022 pour laquelle les résultats du contrôle ont été jugés satisfaisants et un nouvel enfant qui a atteint ou atteindra l’âge de trois ans au cours de l’année 2022, sans porter atteinte au principe d’égalité.

Enfin, dit le Conseil d’Etat, réaffirmant clairement le caractère essentiel du critère de la situation propre à l’enfant motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille, dans le cas présent, la demande d’autorisation n’expose pas de manière étayée en quoi cette situation existe. Pour reprendre, là encore, un propos du rapporteur public, le projet présenté était un projet "standard". Son rejet n’est entaché d’aucun vice de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision. L’ordonnance du juge de référés de Toulouse est donc annulée et la demandes de suspension des requérants est rejetée.

Les décisions du Conseil d'Etat du 13 décembre n°466623 ici et n°467550 ici

 

André Legrand.

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