La révolution numérique amplifie la prise de distance des jeunes vis-à-vis de la culture savante (Observatoire de la Jeunesse/INJEP)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le lundi 29 septembre 2014.
"Technophilie, expression personnelle, sociabilité, sont caractéristiques des pratiques culturelles des jeunes. Mais le phénomène se renforce avec le 'basculement numérique' qui ouvre la voie à des usages innovants, éclectiques et cosmopolites qui abolissent les frontières entre les catégories culturelles." Ce sont les principales conclusions de l’édition de septembre de Jeunesses : Études et synthèses, bulletin de l’Observatoire de la Jeunesse de l’INJEP, consacré à la mutation des pratiques culturelles à l’heure numérique.
Ce "basculement numérique" s’accompagne d’un autre basculement : "celui qui s’opère de la culture savante vers la culture du divertissement, en marge des institutions traditionnelles de transmission que sont principalement l’école et les équipements culturels" poursuit l’étude, fondée sur les données des enquêtes "Pratiques culturelles des Français" des années 1988, 1997, et 2008, réalisée avec le concours de l’INJEP, et dont le détail fait l’objet de l’ouvrage de Sylvie Octobre Deux pouces et des neurones, publié ce mois-ci à la Documentation française.
Si certains constats ne surprennent pas – 9 % des 15-29 ans ne disposent pas d’un ordinateur en 2008, contre 70 % en 1998 – d’autres vont à rebours de certaines idées reçues : ainsi, malgré une "culture de la chambre" façonnée par les équipements dont ils disposent dans leur pré carré intime, on apprend que près de 80 % des 15-29 ans déclarent qu’ils préfèrent les loisirs hors domicile, soit environ 1,4 fois plus que leurs aînés.
Le basculement numérique a cependant entraîné une réorganisation des agendas culturels qui affecte tous les "anciens" médias, notamment la télévision et la radio, dont les audiences hebdomadaires moyennes sont passées respectivement de 15 à 14 heures et de 16 à 9 heures. Associé à une globalisation des industries culturelles et à la "cosmopolitisation" des cultures jeunes, ce basculement a des effets qualitatifs : en 2008, 26 % des jeunes regardent des programmes télévisés dans une autre langue (soit le double de leurs aînés), contre 18 % en 1998 (7 points de plus que leurs aînés).
Un adossement des cultures juvéniles aux industries culturelles
Autre mutation notable, "le numérique accélère la distance croissante, au fil des générations, avec la culture scolaire dont l’emblème est le livre" : la part de ceux qui possèdent plus de 200 livres est ainsi passée de 20 % à 17 % chez les 15-29 ans, tandis que la part de non-lecteurs a augmenté de 18 à 23 %.
Conclusion de l’enquête: "cette culturalisation se fait sur fond d’adossement de plus en plus important des cultures juvéniles sur les industries culturelles, pourvoyeuses de temporalités, de normes, de codes, de références, de compétences, d’affiliations et de reconnaissance". Ces "media cultures" construisent une "éducation buissonnière" qui "échappe aux institutions de transmission traditionnelles et transforment le rapport aux savoirs ainsi qu’à la transmission de ceux-ci".
La synthèse de l’étude est disponible ici.
F. Cluzel